La Russie est grande… comment retrouver un homme ? Il faut se procurer un passeport et s’en aller par les villages.
— C’est ce que je veux faire ! déclara Ignati, en se frappant la jambe avec un copeau. Du moment qu’on est résolu à combattre, il faut marcher sans hésiter…
La conversation tomba. Les abeilles et les guêpes voltigeaient affairées, et leur bourdonnement nuançait le silence. Les oiseaux gazouillaient ; dans le lointain s’élevait une chanson qui errait au-dessus des champs. Après un instant de silence, Rybine reprit :
— Il faut travailler, camarades… Vous vous reposerez, peut-être ? Il y a des lits de camp dans la hutte. Jacob ramasse-leur des feuilles sèches… Et toi, mère, donne les livres, où sont-ils ?
Sophie et Pélaguée ouvrirent leur besace. Rybine se pencha pour regarder, et dit avec satisfaction :
— Voilà… Quel paquet vous en avez apporté… Voyez-vous cela ? Il y a longtemps que vous êtes dans cette affaire… vous ? fit-il en s’adressant à Sophie.
— Il y a douze ans.
— Comment vous appelez-vous donc ?
— Je m’appelle Anna Ivanovna. Pourquoi ?
— Comme ça. Et vous avez été en prison, probablement ?
— Oui !
— Tu vois ! dit la mère à voix basse, d’un ton de reproche. Et toi, tu lui parles avec rudesse…
Il garda le silence un instant ; puis, prenant un paquet de livres sur le bras, il répondit :
— Ne vous fâchez pas contre moi ! Le paysan et le seigneur, c’est comme le goudron et l’eau, ils ne vont pas ensemble, ils se repoussent l’un l’autre…
— Je ne suis pas une grande dame, je suis un être qui pense, souffre et gémit ! répliqua Sophie.
— C’est bien possible ! dit Rybine… Je vais cacher tout cela.
Ignati et Jacob s’approchèrent de lui et tendirent les mains.
— Donne-nous-en ! dit Ignati.
— Ils sont tous pareils ? demanda Rybine à Sophie.
— Non, pas tous. Il y a aussi un journal…