nuages roses et blancs voguaient avec rapidité ; on eût dit un vol de gros oiseaux qui s’enfuyaient à tire d’aile, effrayés par le rugissement de la vapeur. La mère avait la tête lourde ; ses yeux gonflés par l’insomnie étaient secs. Dans sa poitrine régnait un calme étrange ; les battements de son cœur étaient égaux ; elle pensait à des choses coutumières…
— J’ai allumé le samovar trop tôt ; l’eau va s’évaporer. Qu’ils dorment un peu plus longtemps que d’habitude, aujourd’hui !… Ils sont épuisés tous les deux…
Un rayon de soleil matinal, traversa gaiement la vitre ; la mère y porta la main ; et lorsqu’il se posa sur ses doigts, elle le caressa doucement de l’autre main, avec un sourire pensif. Puis elle se leva, ôta le tuyau du samovar, fit sa toilette sans bruit, et se mit à prier avec de grands signes de croix et en remuant les lèvres. Son visage se rasséréna.
Le second sifflement de la sirène fut moins violent, moins assuré ; le son épais et moite tremblait un peu. Il sembla à la mère que le mugissement se prolongeait plus que de coutume.
La voix du Petit-Russien retentit dans la chambre.
— Tu entends, Pavel ? On nous appelle !…
L’un d’eux traîna ses pieds nus sur le sol ; un bâillement suivit.
— Le samovar est prêt ! cria la mère.
— Nous nous levons ! répondit joyeusement Pavel.
— Le soleil brille déjà ! reprit le Petit-Russien, et les nuages s’en vont… Ils sont de trop aujourd’hui, les nuages !…
Il pénétra dans la cuisine, tout ébouriffé, le visage encore gros de sommeil, et dit gaiement à Pélaguée :
— Bonjour, petite mère ! Comment avez-vous dormi ?
La mère s’approcha de lui et répondit à voix basse :
— Mon André, reste à côté de lui, je t’en supplie !
— Bien entendu ! chuchota le Petit-Russien. Nous resterons ensemble, nous serons partout côte à côte… sache-le bien !
— Que complotez-vous, hé ! là-bas ? demanda Pavel.
— Rien, mon fils !
— La mère me dit de me laver plus proprement, parce que les filles vont nous regarder ! expliqua André, puis il sortit pour faire sa toilette.