Il avait à demi fermé les paupières, ce qui indiquait qu’il était fâché. Elle s’interposa avec douceur :
— Mikhaïl Ivanovitch veut bien faire l’affaire, mais à condition que d’autres soient châtiés pour lui…
— Voilà ! acquiesça Rybine en se caressant la barbe.
— Maman, répliqua Pavel avec sécheresse, si l’un d’entre nous, André, par exemple, commettait quelque infraction aux lois et qu’on me remît en prison, que dirais-tu ?
La mère tressaillit, regarda son fils, toute déconcertée, et répondit en hochant la tête :
— Comment pourrait-on agir ainsi envers un camarade ?
— Ah ! ah ! fit Rybine. Je te comprends maintenant, Pavel !
Et, avec un sourire sardonique, il dit à la mère :
— C’est une affaire délicate, cela, mère !
Puis, s’adressant de nouveau à Pavel, il reprit d’un ton doctoral :
— Tu es encore bien naïf, frère ! Il ne faut pas s’occuper d’honneur quand on travaille à une cause secrète. Réfléchis donc : premièrement, c’est la personne chez laquelle on trouvera les livres qui sera mise en prison tout d’abord, et non l’instituteur. Secondement, le contenu des livres autorisés que les maîtres d’école distribuent est le même que celui des livres interdits, les mots seuls sont changés, et il y a moins de choses vraies que dans les nôtres… Donc les instituteurs ont le même but que moi, mais eux font des détours, tandis que je prends la route la plus directe… Pourtant aux yeux des autorités, nous sommes également coupables, n’est-ce pas ? Troisièmement, frère, je n’ai rien à faire avec eux. Les piétons sont de mauvais compagnons pour les cavaliers. Je n’agirais peut-être pas ainsi envers un paysan. Le maître d’école est un fils de prêtre ; l’institutrice, la fille d’un propriétaire foncier ; je ne sais pas pourquoi ils se mettent à soulever le peuple. Moi, paysan, je ne puis connaître leurs pensées de gens instruits. Je sais ce que je fais, mais j’ignore ce qu’ils veulent. Pendant des milliers d’années, les grands étaient de vrais seigneurs et écorchaient les paysans ; brusquement ils se réveillent et se mettent à ouvrir les yeux à leurs victimes… Je ne suis pas un amateur de contes