— C’est une maladie de l’enfance… dans le genre de la rougeole, frère… Nous en avons tous été atteints, avec plus ou moins de violence, selon que nous étions forts ou faibles… Elle attaque les gens de notre espèce quand on se trouve tout seul, qu’on ne comprend pas encore la vie et qu’on ne voit pas la place qui nous est destinée ; il semble qu’on soit le seul vrai homme de la terre et que personne ne se soucie de nous, excepté pour nous dévorer. Plus tard, dans quelque temps, quand tu verras qu’il y a aussi une bonne âme dans d’autres poitrines que la tienne, tu seras soulagé… et un peu honteux alors d’avoir cru que seul tu donnais la note juste, et d’avoir voulu grimper au clocher, quand ta cloche est si petite qu’on ne l’entend pas dans la sonnerie des jours de fête… Ensuite tu t’apercevras que tu n’es qu’une voix à peine perceptible, mais nécessaire cependant, dans le chœur puissant et magnifique de la vérité… Comprends-tu ce que je veux dire ?
— Je comprends… répondit Vessoftchikov en hochant la tête. Seulement, je ne te crois pas !
Le Petit-Russien se mit à rire, se leva soudain et arpenta bruyamment la chambre.
— Moi non plus, je n’ai pas voulu croire… Hé… tu n’es qu’une charrette !
— Pourquoi ? dit le jeune homme en regardant André d’un air morne.
— Tu ressembles à une charrette !
Le grêlé riait aussi, la bouche fendue jusqu’aux oreilles.
— Qu’as-tu ? demanda le Petit-Russien étonné, en s’arrêtant devant lui.
— Je me disais que celui qui t’insulterait serait un imbécile !
— Mais comment pourrait-on m’insulter ? répliqua André en haussant les épaules.
— Je n’en sais rien, répondit le grêlé avec un sourire condescendant. Je disais seulement que l’homme qui t’aura insulté sera joliment confus, après !
— Ah ! voilà où tu voulais en venir ! dit le Petit-Russien en riant.
— André, venez prendre le samovar ! appela la mère.