— Hou ! Et pourquoi ? demanda le Petit-Russien avec tranquillité.
— Pour qu’ils n’existent plus !
— Tu as donc le droit de transformer en cadavres des vivants ? Où l’as-tu pris ?
— Les hommes me l’ont donné…
Le Petit-Russien, grand et sec, resta au milieu de la pièce, balançant son long corps ; il examinait le grêlé du haut en bas, les mains dans les poches. Vessoftchikov était assis, enveloppé d’un nuage de fumée ; des plaques rouges apparaissaient sur son visage blême.
— Les hommes me l’ont donné ! répéta-t-il en faisant le poing. Du moment qu’on me lance des coups de pied, j’ai le droit de riposter… de frapper au museau… aux yeux… Si on ne me touche pas, je ne touche personne. Si on me laisse vivre comme je veux, je vivrai tranquillement, sans déranger personne, je le jure ! Admettons que je veuille m’installer dans la forêt. Je m’y construirai une hutte dans un ravin, au bord d’un ruisseau… et je resterai là… tout seul…
— Eh bien… fais-le ! dit le Petit-Russien en haussant les épaules.
— Maintenant ? demanda le jeune homme.
Il hocha la tête, et se frappant le genou du poing :
— Maintenant, ce n’est plus possible !
— Qui t’en empêche ?
— Les hommes ! Je suis étroitement lié à eux jusqu’à ma mort… ils ont enlacé mon cœur avec de la haine… ils m’ont attaché à eux par le mal… et c’est un lien solide… Je les hais, et partout où j’irai, je les empêcherai de vivre tranquilles. Ils me gênent, et moi je les gênerai. Je réponds de moi… de moi seul… et je ne peux répondre de personne autre… Et si mon père est un voleur…
— Ah ! dit le Petit-Russien à mi-voix en s’approchant de Vessoftchikov.
— J’arracherai la tête à Isaïe Gorbov, tu verras !
— Pourquoi ? demanda André sérieux, à voix basse.
— Pour qu’il n’espionne et ne rapporte plus. C’est à cause de lui que mon père s’est dégradé… et c’est sur lui que mon père compte pour entrer dans la police secrète ! répondit Vessoftchikov en regardant André avec hostilité.