ne mourra pas, mais ressuscitera en un nouvel épi… » L’homme est un grain de vérité, voilà… Je ne suis pas encore près de mourir… je suis rusé…
Il se remua sur sa chaise et se leva sans hâte.
— Je vais au cabaret, je resterai un peu en compagnie… Le Petit-Russien ne vient pas… Il a repris sa besogne ?
— Oui, dit la mère en souriant. Ils sont tous les mêmes : dès qu’ils sortent de prison, ils retournent à leurs affaires…
— C’est ce qu’il faut. Tu lui répéteras ce que je t’ai dit ?
Ils passèrent lentement dans la cuisine et échangèrent quelques brèves paroles sans se regarder.
— Oui ! promit-elle.
— Eh bien, adieu !
— Adieu ! Quand toucheras-tu ton salaire ?
— Je l’ai déjà touché.
— Et quand pars-tu ?
— Demain matin de bonne heure, adieu !
Il se pencha et sortit lourdement, à contre-cœur. Pendant un instant, la mère resta sur le seuil, prêtant l’oreille aux pas pesants qui s’éloignaient et aux doutes éveillés dans son cœur. Puis, elle rentra ; arrivée dans la chambre, elle leva le rideau et regarda par la fenêtre. Des ténèbres épaisses se plaquaient aux vitres ; elles semblaient attendre on ne sait quoi, avec leur gueule ouverte et sans fond.
— Je vis la nuit ! pensa-t-elle, toujours la nuit.
Elle avait pitié du paysan grave à la barbe noire : il était si large de poitrine, si robuste… et pourtant, l’impuissance était en lui comme dans tous les hommes…
André arriva bientôt, animé et joyeux. Lorsque la mère lui eut parlé de Rybine, il s’écria :
— Il part ! Eh bien, qu’il s’en aille dans les villages, répandre la vérité, réveiller le peuple… Il lui était difficile de rester avec nous… Il a dans la tête des idées particulières qui l’empêchent d’adopter les nôtres…
— Il a parlé des riches, des seigneurs, des gens instruits, il paraît qu’il y a quelque chose de louche ! dit la mère avec prudence. Pourvu qu’ils ne nous trompent pas !