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OBLOMOFF.

mais où toute la sainte journée des cavaliers élégants, semblables à M. Élie, se promènent avec de belles dames qu’on ne saurait dépeindre dans un conte ni décrire avec une plume.

Là vit aussi une fée bienfaisante qui apparaît quelquefois sous la forme d’un brochet, qui se choisit un favori, doux, simple, autrement dit un fainéant que tout le monde houspille, mais qu’en revanche elle comble, on ne sait pourquoi, de mille biens.

Lui ne fait que manger et s’affubler d’un habit préparé tout exprès, ensuite il épouse une beauté incomparable, Militrissa Kirbitiévna. Les oreilles et les yeux largement ouverts, l’enfant buvait avidement ce récit. La bonne, ou plutôt la tradition, évitait avec tant d’art de représenter les choses telles qu’elles sont, qu’une fois imbues de ces fictions, l’imagination et la raison devaient rester leurs esclaves jusqu’à la vieillesse.

La bonne récitait naïvement le conte de Yémélia-le-niais, cette maligne et mordante satire de nos aïeux, et peut-être aussi de nous-mêmes. Élie apprendra un jour qu’il ne coule point de rivières de lait ni d’hydromel, qu’il n’existe point de fées ; il se moquera en souriant des histoires de nourrice ; mais ce sourire ne sera point sincère, il sera accompagné d’un soupir secret : le conte se sera fondu chez lui avec sa vie, et sans en avoir conscience il s’attristera parfois, et se