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OBLOMOFF.

Déjà un léger et agréable engourdissement parcourait ses membres et commençait à couvrir ses yeux d’un brouillard imperceptible, comme les premières et timides gelées couvrent de vapeurs la surface des eaux ; encore un instant et la conscience de lui-même allait s’envoler Dieu sait où, quand tout à coup Élie reprit ses esprits et rouvrit les yeux.

« Mais je ne me suis pas lavé ! Comment cela se fait-il ? Je n’ai même rien fait, » murmura-t-il : « Je voulais mettre mon plan sur le papier et je ne l’ai pas fait ; je n’ai pas écrit à l’ispravnik, pas plus qu’au gouverneur ; j’ai commencé une lettre au propriétaire de la maison et je ne l’ai pas terminée ; je n’ai pas vérifié les notes et je n’ai pas donné l’argent, voilà comme j’ai perdu ma matinée ! »

Il se prit à réfléchir.

« D’où cela vient-il ? Et « un autre » aurait fait tout cela ! » Cette réflexion passa rapidement dans sa tête : « Un autre, un autre… Qu’est-ce donc qu’un autre ? »

Il approfondit la comparaison de lui-même avec « un autre. »

Il commença à songer, à songer et parvint à se former d’« un autre » une idée tout à fait opposée à celle qu’il avait donnée à Zakhare. Il dut convenir qu’un autre aurait eu le temps d’écrire toutes les lettres, en évitant la répétition malencontreuse des