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OBLOMOFF.

ronde ; Zakhare, promu à la dignité de majordome, et orné de favoris tout à fait blancs, met la table, place avec un agréable tintement les cristaux et étale l’argenterie ; il laisse choir à chaque instant, tantôt un verre, tantôt une fourchette ; on s’assied autour d’un souper abondant : là est aussi le compagnon de son enfance, son ami toujours fidèle, Stoltz, et d’autres personnes, toutes bien connues ; ensuite on va se coucher.

Soudain le visage d’Oblomoff s’illumina de bonheur : l’illusion était si éclatante, si vive, si poétique, qu’en un clin d’œil il tourna sa face sur le coussin. Il ressentit tout à coup un vague désir d’amour, de bonheur paisible, il eut soif des champs et des coteaux de son village, de sa maison, de l’épouse et des enfants…

Après être resté cinq minutes la face contre le coussin, il se retourna lentement sur le dos. Sa figure resplendissait d’un sentiment doux, attendrissant : il était heureux. Il allongea ses jambes lentement et avec volupté, ce qui fit remonter un peu son pantalon, mais il ne s’aperçut même pas de ce léger désordre. L’illusion docile le transportait facilement et librement bien loin dans l’avenir.

Il se plongea ensuite dans sa rêverie favorite : il pensa à la petite colonie d’amis qui s’établirait dans les hameaux et les fermes, à quinze ou vingt verstes