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La musique se fit entendre et la danse commença. Géraldine était dans le ravissement. En voyant tous ces fronts rayonnants, tous ces regards joyeux, tous ces sourires épanouis, il lui semblait être transportés dans ces régions féeriques où tout est enchantement. Le bal avait pour Géraldine mille attraits et elle était impatiente de se mêler à la foule. Avait-elle tort ? Non, car si je voulais représenter le monde heureux, ce serait dans un bal. Là, chacun semble avoir oublié ses souffrances. On dirait que les yeux ne se reposent que sur le bonheur. L’homme aime à flotter dans une atmosphère d’illusions et quand même il aurait le réveil terrible et amer, il se plaît à rêver ; demain tous ses chagrins refoulés au fond de l’âme renaîtront plus cuisants, mais qu’importe puisque ce soir, il jouit ?

Les désirs de Géraldine furent bientôt satisfaits. De Kergy (qui était son cousin) vint lui demander la danse qui commençait. La jeune fille accepta « avec plaisir. » Hortense était demeurée avec de Raincourt.

— Vous m’aimez toujours, n’est-ce pas ? disait-elle.

— Si je vous aime, Hortense, faut-il vous répéter que s’il fallait renoncer à vous, je mourrais, vous êtes ma vie, mon bonheur, mon espérance.

Une vive rougeur empourpra le visage de la jeune fille et un éclair de joie illumina tous ses traits.

— Vos paroles dissipent mes craintes, depuis deux semaines, j’ai vécu dans une terrible anxiété, il me semblait que vous m’aviez oubliée.

— Oh ! Hortense, comment avez-vous pu croire cela et me faire injure à ce point  ?

— J’étais folle, pardonnez-moi, Félix.

Le capitaine pressa la main de la jeune fille.

— Je ne puis vous en vouloir, dit-il, vous m’êtes trop chère pour cela.

Il s’arrêta, la main de la jeune fille s’était mise à trembler.

Qu’avez-vous, demanda-t-il avec inquiétude.

Hortense ne répondit pas. Félix aperçut M. de Carre. Il passait devant eux et lança un regard sévère à sa pupille. Le capitaine comprit.

— Pourquoi vous troubler ainsi, dit-il, ne suis-je pas là pour vous protéger ? Qu’importe qu’il sache aujourd’hui ou demain que nous nous aimons.

— Vous avez raison, Félix, mais je n’ai pu réprimer un sentiment de crainte en le voyant.

Durant ce temps, M. de Kergy parlait à Géraldine.

Véritablement, ma cousine, vous êtes la belle du bal de soir.

— Vraiment, fit Géraldine en riant ; vous me forcez de vous dire que vous êtes le plus railleur que j’ai encore rencontré.

— Oh ! voilà comme vous nous traitez, vous autres jeunes filles lorsqu’on est franc.

— Moqueur, ajouta-t-elle.

— Vous êtes cruelle pour le plus dévoué de vos adorateurs.

— Oh ! oh ! chevalier, vous devenez sentimental.

— Je fais l’aveu de mes sentiments.

— Je suis fâchée de ne pouvoir vous croire.

— Et moi, je suis triste de ne pouvoir être plus persuasif.

Géraldine feignit n’avoir pas entendu.

La danse venait de finir, chaque danseur reconduisait sa partenaire.

Melle Auricourt prit place sur un divan. Elle était occupée à chercher du regard son amie Hortense lorsqu’elle s’entendit interpeller.

Quoi ! est-ce vous Mademoiselle Auricourt, je ne vous reconnaissais pas ; le fait est que vous êtes ravissante dans cette toilette. C’est votre premier bal n’est-ce pas ? comment trouvez-vous cela, ma chère ?

Ces paroles avaient été dites avec une telle volubilité, par Melle de Montfort, que Géraldine n’avait pu placer un mot. Elle regarda l’héritière avec curiosité.

— Mademoiselle de Montfort, dit-elle enfin.

— Précisément, répondit celle-ci s’asseyant à côté de Géraldine et examinant si les plis de sa robe tombaient avec grâce.

Dites donc, ma mignonne, n’est-ce pas enchanteur, délicieux, ce bal. On y rencontre de si charmantes personnes. Tenez, je viens de faire la connaissance d’un monsieur tout à fait aimable, c’est le jeune de Blois. Il a un langage enchanteur ; tout ce qu’il dit est de bon goût, et il connaît le beau, car il a admiré ma toilette ; il est vrai qu’elle n’est pas laide, elle vient directement de Paris, de chez la première faiseuse. Mais c’est lui qui passe ; je vais vous l’introduire, vous allez voir qu’il saura bien vous dire que vous êtes belle. Monsieur de Blois, dit-elle au jeune homme, venez donc par ici.

— Mais, mademoiselle, dit Géraldine, un peu impatientée, je ne vous ai nullement demandé de me le faire connaître.

Melle de Montfort ne répondit pas ; elle était trop occupée du jeune homme qui se trouvait devant elle.

— Je vous demandais pour vous faire connaître la plus aimable personne de ce bal. Mademoiselle Auricourt, c’est monsieur le chevalier de Blois, dont je vous ai parlé si avantageusement. Géraldine et le chevalier saluèrent un peu embarrassés de cette singulière présentation. La conversation s’engagea, vivement menée par Melle de Montfort.

La danse recommençait, Géraldine se demandait avec ennui, si elle pourrait quitter son insignifiant compagnon et sa bavarde voisine. Elle n’attendit pas longtemps, M. de Vergor s’avança et lui demanda d’être sa partenaire pour la contre-danse qui s’engageait. Elle se leva joyeuse et tout le reste de la soirée fut très agréable pour elle. Elle fut une des dernières à laisser le bal et revint parfaitement satisfaite chez elle.

CHAPITRE IV
comment robert fit connaissance
avec géraldine

La neige avait cessé de tomber, le soleil s’était levé radieux. Cependant le vent soufflait encore avec violence et les énormes glaçons qui demeuraient suspendus aux branches des arbres qui bordaient le chemin de Ste Foy, attestaient que la rigueur de la température n’avait pas changé. La route enneigée qui s’étendait au loin était veuve de passants. Seule, une jeune personne enveloppée dans un épais manteau de fourrure parcourait d’un pas rapide ces lieux solitaires. De temps en temps, elle ramenait sur son