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mêler à la conversation et n’avait entendu que les dernières paroles de Louis ; comme vous y allez jeunes gens, prenez gardes d’être déçus dans vos calculs. On voit plus souvent le bonheur habiter sous les toits de chaume que dans les palais somptueux.

Et il s’éloigna. Ces paroles plongèrent les critiques dans le silence. Cependant il fut bientôt rompu par M. de Blois qui se penchant vers Louis lui demanda quelles étaient les deux charmantes personnes qui faisaient leur entrée.

— Ici, pas de remarques, elles sont tout à fait élégantes et mises avec bon goût. La plus grande est mademoiselle de Roberval, l’autre m’est inconnue.

— Mademoiselle de Roberval, reprit de Blois ! n’est-ce pas la fiancée du capitaine de Raincourt ?

— On le dit, mais tout bas, car le tuteur, M. de Carre n’est pas pour ce mariage, il préférerait devenir l’époux de sa pupille.

— Parbleu ! Il n’a pas mauvais goût, tout de même, la petite est bien belle, et avec cela une bonne dot ; ça ferait bien mon affaire, c’est dommage, je suis venu trop tard.

— Oui en vérité, il faut que tu te contentes maintenant de mademoiselle de Montfort.

De Blois fit une vilaine grimace, qui fut accueillie par un bruyant éclat de rire, de la part de ses amis.

Hortense de Roberval venait de se diriger avec sa compagne (qui n’était autre que Géraldine) vers l’extrémité de la salle, où se tenait le gouverneur, qu’elles saluèrent et ensuite prirent place sur un divan. Hortense était véritablement le type de la beauté féminine. Brune avec de grands yeux bleu foncé, un regard doux et rêveur ; l’ovale de sa figure était d’une distinction parfaite. Les boucles abondantes de ses cheveux noirs d’ébène relevaient la pâleur de son teint.

Sa taille souple et élongée avait les lignes les plus gracieuses.

Outre ce physique agréable, Hortense possédait une âme sensible et qui malheureusement avait été en butte à de grands chagrins.

À peine âgée de seize ans, la jeune fille se trouva orpheline. Après avoir goûté au bonheur que lui procurait l’amour et la tendresse sans bornes de ses parents, elle se vit tout à coup sous la tutelle d’un homme pour lequel elle ressentait une vive antipathie ; car elle avait reconnu bientôt qu’il n’y avait ni noblesse ni vertu chez M. de Carre. Isolée au milieu de ceux qui l’entouraient, la pauvre enfant passait de longs et tristes jours à penser à ceux qui n’étaient plus.

Monsieur de Carre avait voulu qu’Hortense cessât toutes les relations qu’elle avait du vivant de ses parents ; ayant remarqué que la jeune fille n’était pas indifférente aux attentions de M. de Raincourt ; comme il convoitait la main et la fortune de sa pupille, il employait tous les moyens afin de l’isoler autant que possible ; mais il se trompait, ce fut précisément cette solitude et l’ennui que Melle de Roberval éprouvait qui lui firent penser plus que jamais au capitaine qu’elle avait jusqu’alors regardé comme un ami.

Hortense comparait sa vie présente avec celle où elle le voyait chaque jour, lui dont les conseils avaient su adoucir ses chagrins, lui qui s’était montré si bon et si attentif pour elle. Hortense ne pouvait plus se confier à personne n’ayant pour toute compagnie que la mère de M. de Carre, vieille femme dans la société de laquelle elle ne pouvait se plaire.

Monsieur de Raincourt avait été un des habitués chez le marquis de Roberval, souvent il avait partagé les jeux d’Hortense lorsqu’elle n’était qu’une enfant et à mesure que les années venaient ajouter des charmes à la jeune fille, il sentait l’affection qu’il lui avait toujours portée se changer en un sentiment plus tendre. Malgré les obstacles qu’on lui opposait, il résolut de revoir Melle de Roberval et de lui ouvrir son cœur. Il parvint à la rencontrer et lui avoua ses sentiments, auxquels elle répondit par un aveu franc et sans détours.

Ce fut peu de temps après cette entrevue que M. de Carre annonça à Hortense qu’il partait pour l’Amérique et l’emmenait avec sa mère. Quitter la France, s’éloigner peut être pour toujours de celui qu’elle aimait eut été pour elle un chagrin insupportable si un petit billet ne lui fut mystérieusement parvenu, quelques heures avant son départ, sur lequel elle lut ces trois mots « Je pars aussi. »

Le capitaine de Raincourt faisait partie des troupes que Montcalm emmenait en Canada. Quelques mois plus tard Hortense et lui se retrouvaient à Québec et se fiançaient à l’insu de M. de Carre, qui conservait toujours l’espoir de devenir l’époux de sa pupille, et se montrait pour elle prévoyant et attentif, tout en la surveillant, afin d’empêcher une rencontre entre elle et le capitaine, dont il avait appris avec déplaisir, l’arrivée en Amérique,

Mais Hortense trompa sa vigilance.

En arrivant à Québec, elle fit une amie de Géraldine et ce fut chez Melle Auricourt qu’elle revit le capitaine qui était en relations intimes avec son père.

Au moment où nous présentons Hortense à nos lecteurs, elle a dix-neuf ans.

— Ainsi, disait-elle à Géraldine, tu n’as pas vu Monsieur de Raincourt depuis huit jours ?

— Non, ma chère, je ne puis t’en donner aucune nouvelle.

— Crois-tu du moins qu’il vienne ce soir ?

— Sans doute, qui pourrait le retenir lorsqu’il sait que tu es ici.

— Oh ! Géraldine, tu ne peux croire combien je souhaite sa présence, combien aussi je la redoute.

— Que veux-tu dire ?

— Oui je crains de le rencontrer ce soir, parce que M. de Carre est ici… S’il apprend que j’ai renouvelé connaissance avec le capitaine, je suis certaine que toutes mes actions seront épiées ; on ne me laissera pas un instant de liberté. Mon tuteur s’est douté que je le rencontrais chez vous ; voilà pourquoi tu ne m’as pas vue depuis deux semaines.

— Que je te plains, dit Géraldine, si j’étais à ta place, je me moquerais bien de mon tuteur et de son insupportable mère.

— Cela n’est pas aussi facile que tu le penses.

Hortense avait à peine achevé ces paroles, qu’elle tressaillit, et une vive rougeur couvrit ses joues pâles. On venait d’annoncer le général Montcalm. Le marquis entra dans la salle, suivi du capitaine de Raincourt, celui-ci apercevant les deux jeunes filles, d’un pas rapide, il se dirigea vers elles ; les salua, et prit place à côté d’Hortense.