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lui l’affection que Montcalm lui portait. Aussi lorsque l’on ensevelit les restes du marquis dans une excavation qu’une bombe avait faite dans le mur du couvent des Ursulines ; lorsqu’on entonna le libéra et que le glas funèbre (qui nous fait sentir deux fois que celui qui nous est cher n’est plus) retentit, des larmes coulèrent lentement sur ses joues.

Il fallut qu’une religieuse vint l’avertir que tout était fini et qu’on allait fermer la chapelle pour le tirer de ses regrets.

Il se leva et se hâta de retourner auprès de Géraldine.

— Comme tu as été longtemps, lui dit-elle en l’apercevant, vraiment, je craignais que ma pauvre Hortense mourût en ton absence.

On avait transporté Mlle de Roberval à la demeure de M. de Marville, elle avait repris ses sens, mais une fièvre cérébrale s’était déclarée.

— Crois-tu, Robert, qu’il n’y ait aucune espérance qu’elle revienne ?

— Les médecins ne se sont pas encore prononcés, peut-être que nous aurons le chagrin de la voir nous quitter ; mais pour elle, Géraldine, ne crois-tu pas qu’il serait plus heureux de laisser cette terre, puisque Félix n’y est plus !

— Mon Dieu, c’est vrai, pauvre Hortense ! Robert, que peut-on désirer lorsqu’on a perdu celui qu’on aime, que serait ma vie sans toi ?

Elle se pressa sur la large poitrine de son mari, et lui l’entourant de ses deux bras, il la tint sur son cœur avec amour.

Puis Géraldine, sans prononcer une parole, entraîna son mari à l’appartement où Hortense avait été transportée.

La maladie avait déjà fait des ravages sur les traits de la jeune fille.

Pendant plusieurs jours, le délire ne la quitta pas. Madame de Marville ne voulut confier à personne le soin de la veiller, après bien des nuits de veille, elle eut la joie de voir son amie la reconnaître. Depuis la mort du capitaine, Hortense avait été dans un oubli complet de tout ce qui l’entourait, et dans son inexpérience, Géraldine croyait que c’était un retour à la santé.

— Chère Hortense, fit-elle en l’embrassant, que je suis heureuse de te voir mieux aujourd’hui.

— Géraldine, ce mieux que j’éprouve n’est que l’avant-coureur de la mort, mais ne t’afflige pas, mon amie, la vie ne me serait plus supportable. Dis-moi depuis combien de temps suis-je malade : quel jour sommes-nous ?

— C’est le vingt de septembre.

— Oh ! mon Dieu, je suis donc en âge, aujourd’hui. Ce jour que j’ai tant désiré doit en effet nous réunir. Géraldine, je vais mourir, je le sens ; mais je remercie Dieu d’avoir permis que je vécusse jusqu’ici ; j’avais encore un devoir à remplir.

Robert entra en ce moment suivi du docteur. Hortense lui fit signe d’approcher.

— Je suis majeure, monsieur de Marville, dit-elle, je n’ai plus que peu de temps à vivre ; mais j’ai encore assez de forces pour écrire mes dernières volontés : vite, donnez-moi ce qu’il faut pour écrire.

Robert s’empressa d’obéir ; Mlle de Roberval traça quelques lignes d’une main tremblante, puis se retournant vers le docteur, elle lui dit :

— Écrivez au bas de ceci, je vous prie, que je jouis de toute ma raison.

Le médecin se rendit à sa demande.

— Merci, dit la jeune fille, à présent, je puis mourir, Félix, je te rejoins.

Ses yeux se levèrent vers le ciel, et les abaissant sur ceux qui l’entouraient, elle leur jeta un dernier regard.

— Adieu, mes amis, murmura-t-elle, ne pleurez pas sur moi, car je suis heureuse de mourir.

Puis sa tête retomba sur son oreiller pour ne plus se relever.

Tout est fini, dit le docteur.

— Mon Dieu est-il possible, fit Géraldine en étouffant en sanglots.

Robert laissa couler les larmes de sa femme quelques instants, puis lorsque les premiers transports de sa douleur furent apaisés, il lui dit, s’efforçant de la consoler :

— Géraldine, devons-nous nous affliger de ce qu’elle est retournée vers celui qu’elle aimait.

— C’est vrai, mais nous ne la verrons plus.

Le docteur s’approcha d’eux.

— Mes amis, leur dit-il, celle qui vient de mourir vous aimait beaucoup, elle l’a prouvé en vous léguant sa fortune.

— Quoi ! reprit M. de Marville, c’est à nous qu’elle laisse ses biens ?

Et il lut ce que Mlle de Roberval avait tracé d’une main tremblante.

ceci est mon testament.

Aujourd’hui vingt septembre 1759, moi Hortense de Roberval, je lègue à M. de Marville et son épouse ma fortune tout entière.

Puis plus bas.

Moi docteur Dubois, je certifie que Mlle Hortense de Roberval jouit en ce jour de toutes ses facultés mentales.

Signé le 20 septembre 1759.
Québec.


Ce testament rendait M. de Marville possesseur d’une des plus belles fortunes de France.

Robert ne pouvait en croire ses yeux.

— Qu’avons-nous fait, dit-il, pour tant mériter de sa part.

Si Hortense avait encore vécu, elle aurait pu lui répondre.

Ce que vous avez fait ! Vous avez été les amis de l’orpheline.

Mademoiselle de Roberval fut déposée à côté de celui qu’elle avait tant aimé.

Après que les funérailles furent terminées, M. de Marville dit à sa femme :

— Maintenant que tous ceux qui nous étaient chers en ce pays ont disparu, nous allons quitter le Canada, puisque la fortune nous le permet nous retournerons en France. Depuis que Québec appartient aux Anglais, plusieurs familles ont aussi pris la décision de retourner dans leur patrie ; ainsi, nous ferons le voyage entourés de connaissances. Dis-moi, Géraldine, est-ce qu’il t’en coûterait de quitter Québec ?

— Non Robert, du moment que tu le désires, je suis