donne pas.
— Chère Hortense, reprit le capitaine, se soulevant et l’attirant près de lui, cache-moi ta douleur, tes larmes me font mal. Si nous devons être séparés, ce ne sera pas pour longtemps, car je le sens tu ne survivras pas à ma mort.
Épuisé par ces paroles, il laissa tomber sa tête sur l’épaule de la jeune fille, et ses yeux se fermèrent.
— Félix, Félix, voilà tout ce que la pauvre enfant pouvait murmurer à travers les larmes qui coulaient sur sa belle figure.
Robert, sa femme et les officiers qui se trouvaient dans la chambre n’avaient pas prononcé une parole, tant ils se sentaient émus devant cette scène de douleur.
Le capitaine rouvrit les yeux et fixa ses regards mourants sur Hortense ; elle détourna la tête, ne pouvant les supporter.
— Pauvre enfant, fit-il, Robert.
M. de Marville s’approcha.
— Qu’est-ce Félix ?
— Le général, comment est-il ?
— Hélas bien mal !
— Il m’avait promis de la protéger, mais s’il doit succomber comme moi, Robert, c’est à toi et à ta femme que je la confie.
— Félix, rien ne sera épargné de notre part pour ta fiancée ; nous ferons tout en notre pouvoir pour soulager sa peine.
— Merci, Robert.
Les ombres de la nuit envahissaient la chambre, un morne silence régnait dans l’appartement.
Géraldine priait au chevet du lit ; Robert, M. Duval et leurs compagnons demeuraient plongés dans une amère douleur, devant leur frère d’armes agonisant.
Pour Hortense, elle pleurait toujours.
Une religieuse en ce moment interrompit le silence en venant poser un candélabre sur la table ; elle regarda un instant, tous ces visages consternés, puis s’agenouillant auprès de madame de Marville, elle mêla ses prières aux siennes.
Lecteurs ! représentez-vous un de ces moments suprêmes où va vous être enlevé pour toujours un être chéri. Il est là, étendu sur un lit de souffrance, pâle et livide ; bientôt, il ne sera plus ; maigre toute votre tendresse, vous ne pourriez le suivre ; sa main que vous tenez encore, se glacera à jamais. Vous n’entendrez plus cette voix qui savait consoler vos peines et vous charmer par les mots d’amour qu’elle murmurait à votre oreille, vous n’attendrez plus avec impatience l’heure de son arrivée, car tout sera fini, fini…
M. de Raincourt était toujours dans un état de torpeur qui le rendait insensible à tout.
Enfin, vers le matin, il rouvrit les yeux.
— Hortense, dit-il, vous êtes encore là, et vous pleurez toujours.
La jeune fille couvrit son visage.
— Non, non, chère enfant, reprit-il d’une voix plus faible, laissez-moi vous regarder, je n’ai plus que peu d’instants à vous voir.
Hortense obéit et rencontra de nouveau le regard de Félix qui lui déchirait l’âme, car il était déjà couvert du voile de la mort.
— Hortense, je te bénis, auprès de toi, j’ai goûté de véritables moments de bonheur, pauvre petite, il faut donc te quitter… Robert, pense des fois à ton ami… Hortense… Hortense… Adieu…
Mlle de Roberval sentit la main du capitaine se glacer dans la sienne, et sa tête plus pesante sur son sein, mais elle ne crut pas ce qu’elle voyait. Ses yeux demeurèrent fixés sur ceux de Félix qui, quoiqu’éteints, la regardaient encore.
Une religieuse s’approcha et lui dit :
— Mon enfant, Dieu vient de le rappeler à lui.
Hortense la regarda avec égarement, comme si elle ne l’avait pas compris ; enfin, elle s’écria :
— Non, non, c’est impossible, il n’est pas mort, Félix, réponds-moi, parle-moi encore.
Et folle de douleur, elle se mit à parcourir la chambre en se tordant les bras de désespoir et répétant :
— Ce n’est pas vrai, non, Félix, tu ne peux m’avoir abandonnée, Oh ! c’est un rêve, par pitié, éveillez-moi, je ne puis supporter tant de souffrance.
Elle allait de M. de Marville à Géraldine, à M. Duval, les suppliant de l’éveiller ; eux ne pouvant supporter ce spectacle, détournaient la tête dans l’impossibilité où ils étaient de lui répondre.
— Vous ne comprenez donc pas, répétait la pauvre enfant, vous ne voyez pas qu’on veut me faire croire qu’il est mort ; Félix, c’est moi Hortense, ne me reconnais-tu pas ?
Elle porta ses lèvres au front du capitaine ; mais à ce contact un frisson parcourut tous ses membres ; elle porta la main à son cœur et tomba privé de sentiment sur le corps inanimé de M. de Raincourt.
CHAPITRE XXVI
le revoir au ciel.
Après avoir vainement tenté de rallier les troupes à la porte le la ville, Vaudreuil fit une retraite précipitée à la Pointe-aux-Trembles et rappela à lui M. de Lévis ; ce dernier ranima l’armée et se mit en marche immédiatement pour secourir Québec ; mais malgré toute la diligence qu’il y mit, il arriva trop tard, M. de Ramezay et le chevalier de Bernest, dans une précipitation inconcevable, venaient de remettre la ville aux Anglais.
La perte de Québec n’était que l’avant-coureur de la fin de la domination française en Canada.
Le valeureux chef qui avait défendu avec un courage inouï ces possessions, succomba le jour où il ne put vaincre.
Montcalm rendait le dernier soupir peu de temps après le capitaine de Raincourt.
Robert assistait à ses derniers moments.
L’âme du jeune homme était brisée devant la perte qu’il faisait. Jusqu’alors sa pauvreté ne l’avait pas effrayé, car il comptait sur son général pour aider à son avancement, et la pensée qu’il ne pourrait pas entourer sa femme de tout le bien-être auquel la fortune de son père l’avait habituée ne lui était pas encore venue : mais la mort du marquis brisait ses espérances, son cœur se serra en songeant à Géraldine.
Si elle eut su de quoi il se préoccupait, combien elle aurait su vite le consoler.
Hélas ! se disait Robert, si mon père le voulait, son influence pourrait m’être bien utile, mais non il ne fera rien pour moi, mon véritable père était mon général.
En effet, jamais l’auteur de ses jours n’avait eu pour