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Quoique M. de Carre eût rendu la liberté à Mlle de Roberval, il ne lui permettait pas de recevoir chez lui son fiancé, qu’il détestait souverainement.

Hortense le rencontrait chez son amie Géraldine.

L’amitié qui avait toujours uni les deux jeunes filles se resserrait de plus en plus.

On les voyait souvent se promener ensemble, dans le jardin du docteur Auricourt, se racontant leurs joies et leurs espérances.

Rien de plus charmant que de voir cette blonde, aux yeux d’Andalouse, appuyée au bras de sa compagne, aux cheveux d’ébène, aux yeux d’un bleu de ciel d’Orient.

Ce groupe de deux femmes si belles, mais d’une beauté si différente, était bien fait pour attirer les regards admiratifs du plus indifférent ; cependant il eut été difficile de savoir à qui donner la palme.

Les agréables confidences de Géraldine et d’Hortense étaient régulièrement terminés par la présence encore plus agréable, de Robert et du capitaine.

Alors, dans leur bonheur, ces quatre jeunes gens demeuraient de longs quarts d’heures sans prononcer une seule parole ; mais ce silence pour eux était un langage bien éloquent.

— Chère Géraldine, disait Robert, que la vie est douce près de toi ; que serai-je devenu, si je n’avais ouvert ton album. J’aurais traîné une existence insupportable ; tu ne saurais croire tout ce que je souffrais, croirais-tu que dans mon malheur, j’allais jusqu’à te reprocher tout ce que tu avais fait pour moi.

— Robert ne parle plus du temps qui nous a séparés ; la seule pensée de ces moments d’angoisse me rend encore triste, nous avons bien souffert, mais j’en remercie Dieu, puisqu’il me réservait le bonheur d’être aimée de toi ; maintenant Robert, si des malheur que j’ignore venait me frapper, forte de ton amour, je sens que mon courage serait plus grand pour les supporter. Ne crois-tu pas, comme moi, que Dieu a créé l’amour afin que ce sentiment qui remplit le cœur de l’homme, soit assez puissant pour le soutenir au milieu des plus grandes épreuves.

Tandis qu’ils s’entretenaient ainsi, Félix murmurait à l’oreille d’Hortense, que le temps s’écoulait.

— Bientôt, disait-il, nous serons réunis pour toujours.

C’était ainsi que confiants en l’avenir, Mlle de Roberval et M. de Raincourt, Géraldine et Robert, ne voyaient pas l’orage qui s’amoncelait au-dessus de leurs têtes ; car pour ces derniers comme pour Hortense et Félix, le jour n’était pas éloigné où le malheur s’appesantirait sur eux,

Gontran de Kergy, n’avait pas oublié sa vengeance, il n’attendait plus que le moment favorable ; l’heure allait bientôt sonner où il mettrait ses plans à exécution.

CHAPITRE XVII
jours de bonheur.

Depuis quelques jours, M. Auricourt paraissait préoccupé, inquiet, souvent en regardant sa fille, ses paupières devenaient humides. Le bonheur rend égoïste, Géraldine, au milieu de sa félicité, ne s’était pas aperçue de la tristesse de son père.

Combien ses jours étaient remplis maintenant, la présence de Robert lui faisait tout oublier. Le soir ils se promenaient ensemble dans la campagne. Comme elle s’appuyait avec ivresse sur son bras. Souvent il lui parlait de sa mère.

— Géraldine, lui disait-il, combien elle vous aimerait si elle vous connaissait, combien ma mère serait heureuse de vous nommer sa fille et vous serait reconnaissante pour tout ce que je vous dois. Vous ne savez combien son âme est sensible, et sage ses conseils. Souvent dans des moments de découragement que d’extravagances n’aurais-je pas faites, si je n’avais sans cesse entendu résonner ses douces paroles à mon oreille ; malgré la distance qui nous séparait, elle était toujours présente à ma pensée, je songeais combien serait amère sa douleur, si un seul instant son fils devenait indigne d’elle, et je ne voudrais pour tout au monde augmenter ses chagrins. Je veux qu’en pressant ma mère sur mon cœur, elle n’ait rien à reprocher à son fils.

Tous les hommes ont leur ambition, Géraldine, voilà la mienne.

— Elle est noble, reprit la jeune fille, Dieu exaucera vos vœux, vous reverrez votre mère.

Que je suis heureuse d’être riche, c’est à présent que je puis apprécier la valeur de la fortune, sitôt après notre mariage, nous voguerons vers la France, qui est le pays de vos désirs et des miens. Votre père ne pourra plus rien contre vous, vous êtes maintenant en âge, nous ferons tout pour retrouver votre sœur et votre mère ne pleurera plus. Que j’ai hâte de voir cette Alice qui autrefois faisait tous mes tourments, je sens que je l’aimerai d’autant plus que j’ai eu des torts envers elle. Si mon père consentait seulement à ce que nous nous marions à présent, vos inquiétudes sur votre famille se dissiperaient plus tôt. Je ne serai parfaitement heureuse que lorsque je saurai qu’il n’y a plus rien pour vous chagriner.

Robert pressa la main de la jeune fille.

C’était ainsi qu’ils s’entretenaient chaque jour et que le temps s’écoulait dans un bonheur parfait.

Robert ne pouvait se lasser d’entendre l’agréable conversation de Géraldine.

Mlle Auricourt était une personne timide, et l’on ne pouvait apprécier le charme de son esprit, que rehaussait une brillante éducation, que dans l’intimité de sa connaissance ; alors seulement, elle se laissait connaître tout entière, et épanchait ses pensées dans le cœur de l’ami qui la comprenait.

Ceux qui l’auraient entendue discuter sur n’importe quel sujet, ne la connaissant que pour l’avoir rencontré dans quelques réunions, auraient été surpris de la supériorité de son intelligence, car Géraldine était si différente chez elle.

Là, la jeune fille ne craignait pas d’émettre son opinion ; elle gardait tout l’attrait de son esprit pour son intérieur.

Robert était un jeune homme qui ne parlait pas beaucoup ; mais il avait le don de ne jamais tenir les femmes indifférentes dans leur conversation, ce qui presque toujours plaît mieux qu’un grand parleur.

Le docteur les regardait souvent se promener tous deux puis détournait ses regards et murmurait.

— Pauvres enfants, je les laisserai peut-être dans