Page:Gonneville - Trois ans en Canada, 1887.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26

Ce ne fut qu’en 1831 qu’un gouverneur anglais, Lord Aylmer, fit placer dans cette chapelle une plaque en marbre blanc, où on lisait :

« Honneur à Montcalm, le destin, en le privant de la victoire, l’a récompensé par une mort glorieuse. »

C’est ainsi que l’Angleterre, seule, rendit justice à sa valeur…


Le lendemain, la Cathédrale était remplie de la société de Québec, qui venait assister au mariage de Mlle Simard et M. d’Estimauville.

La mariée entra pâle et émue ; cependant son regard était rempli de joie, car le oui sacramentel qu’elle allait prononcer était pour elle le présage du bonheur : ce oui qui par beaucoup, hélas, est proféré aux pieds des autels, le désespoir dans l’âme. Pour Mlle Simard, elle aimait, elle était aimée, aucun nuage ne pouvait attrister son front pur ; confiante en l’avenir, la jeune fille s’agenouilla aux pieds du prêtre, heureuse de remettre sa destinée à celui que son cœur avait choisi.

Hortense cachée derrière un pilier priait et pleurait. Madame de Staël dit que nous avons toujours un pressentiment de ce qui doit nous arriver dans la vie. Je crois qu’elle a raison.

Pour Mlle de Roberval, elle était dans un de ces moments où l’avenir passe devant les yeux ; la jeune fille pensait à M. de Raincourt à tout ce qui la séparait de lui, et quelque chose lui disait « Non, non, jamais vous ne serez unis ».

Abimée dans ses réflexions, elle ne s’était pas aperçue que la noce avait défilé et que l’Église s’était entièrement vidée. Aux sons harmonieux de l’orgue avait succédé le silence le plus complet.

Combien dura cet oubli de tout ce qui l’entourait, on n’en sait rien ; lorsque Mlle de Roberval releva la tête, elle aperçut le capitaine, debout près d’elle, qui la regardait prier. Un cri fut près de s’échapper de ses lèvres.

Relevez-vous Hortense, murmura-t-il, il y a assez longtemps que vous priez, venez au dehors.

La jeune fille obéit machinalement et suivit M. de Raincourt.

Lorsqu’ils eurent quitté l’église, Félix lui offrit son bras, Hortense était si pâle, qu’il craignait qu’elle ne s’évanouit. Il la conduisit à un banc qui se trouvait appuyé sur un grand chêne, et tous deux y prirent place. À leur approche, un oiseau qui chantait dans l’arbre s’envola, Hortense le regarda disparaître, avec tristesse, et quand elle abaissa ses regards sur son fiancé, une larme perlait au bord de sa paupière.

— Pourquoi vous chagriner ainsi Hortense ?

— Je sais que vous partez pour Carillon.

— C’est vrai, il m’en coûte beaucoup ; mais du moins je pars un peu rassuré sur votre sort ; puisque votre tuteur est revenu à de meilleurs sentiments et que vous êtes maîtresse de vos actions maintenant.

— Ce changement m’effraie ; vous ne connaissez pas mon tuteur, Félix, il n’abandonne jamais ses projets ; s’il me laisse libre, c’est qu’il a trouvé un autre moyen de parvenir à son but ; je crains qu’il ne s’attaque à vous.

— Chère Hortense, votre sensibilité vous effraye à tort ; M. de Carre n’osera rien contre moi. Si maintenant il agit en gentilhomme avec vous, c’est qu’il a compris que sa conduite passée aurait pu lui faire tort. J’aurais employé tous les moyens pour vous faire mettre en liberté et pour lui enlever les droits qu’il a sur vous. Vous voyez qu’il a profité de mon absence pour user du pouvoir que la loi lui donne.

— C’est vrai, Félix, lorsque je suis avec vous, toutes mes craintes s’évanouissent, je me sens forte de votre protection, il me semble qu’aucun malheur ne peut nous atteindre, lorsque je vous vois ; mais en votre absence, mon esprit est assailli de mille craintes, je vous vois exposé à maints dangers, tendus par mon tuteur et je vis dans une anxiété continuelle.

— Pauvre enfant, au nom de mon amour, je vous supplie de ne pas vous laisser impressionner de semblables idées, qui ne sont que chimériques. Je vois que votre captivité vous a enlevé votre courage d’autrefois, mais il ne faut pas vous attrister pour cela ; promettez qu’à l’avenir vous ne vous rendrez plus malheureuse à cause de moi, si vous voulez que je parte tranquille. Songez que malgré les ennuis, les déceptions, le temps s’écoule, dans dix-huit mois vous serez libre, alors personne ne pourra nous séparer ; vous avez assez souffert pour pouvoir espérer d’être heureuse.

La jeune fille leva ses yeux bleus sur le capitaine, dans ce regard, M. de Raincourt comprit qu’on lui accordait la promesse demandée, et que déjà les sombres pensées qui oppressaient sa fiancée se dissipaient, pour faire place à l’espérance.

En effet, quel est celui qui peut mieux consoler l’âme souffrante, si ce n’est l’être aimé ; quelle voix peut avoir ses accents !

— Oui, ma petite Hortense, nous serons heureux, continua-t-il, en l’entourant d’un regard d’amour, je bâtirai un joli castel ; sur les bords de la rivière Ste. Croix, là, nous passerons les premières années de notre union, puis plus tard, lorsque le pays sera en paix, nous retournerons en France, pour habiter le château de votre père. Vous serez entourée de nouveau, de tous les objets que vous aimez, et que vous n’avez revus depuis la mort de vos parents. Nous reprendrons vos anciens et fidèles serviteurs, qui voua aiment tant ; nous nous promènerons ensemble, dans les allées touffues du grand parterre, où souvent, dans votre enfance, j’ai joué avec vous à cache-cache. Vous rappelez-vous de l’étang où, un jour, vous tombâtes ; j’eus le bonheur de me trouver tout près, et j’arrivai à temps pour vous retirer de l’eau, où vous alliez disparaître. Qui m’eut dit alors lorsque je vous remis aux bras de votre mère, qui était accourue, toute en larmes, que l’affection que j’avais pour vous, devait se changer un jour en l’amour le plus tendre ; que vous deviendriez pour moi plus que tout au monde ? Combien d’événements imprévus se passent dans la vie, que de changements s’opèrent dans quelques années. Qui m’eut dit Hortense que nous devions tous deux traverser l’Océan, pour venir habiter ce pays lointain ? Vous voyez que la Providence nous protège, puisqu’elle a permis que nous nous retrouvions ici.

Ce fut en lui parlant ainsi longtemps de ses rêves d’avenir et de riants projets, que le capitaine parvint à chasser entièrement les nuages qui attristaient quelques instants auparavant le front de sa fiancée. Ce fut donc avec moins de regrets qu’il put lui faire ses adieux, à la porte de la demeure de M. de Carre, car