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CHAPITRE XIII
enfin on se comprend.

Le soir venait. Un de ces soirs limpides et purs où l’âme appesantie par une douleur profonde, aime à venir chercher dans la contemplation des beautés de la nature, un soulagement à ses peines.

On percevait, déjà, l’approche du crépuscule, les derniers feux d’un soleil mourant allaient se perdre dans l’immensité des cieux, et à l’horizon se levaient de faibles étoiles.

À cette heure mystérieuse, où l’imagination tout entière peut s’envoler comme une prière vers le Tout Puissant, Géraldine se promenait d’un pas lent dans les allées du jardin de son père. Depuis la veille, le calme n’était pas entré dans ses esprits, et elle venait, en contemplant le ciel, demander à Dieu de relever son courage, et de l’aider à supporter son malheur.

Le froid de la nuit, qui était tombée, vint la forcer à rentrer. Tout était noir à la maison, apparemment le docteur était sorti puisque son bureau n’était pas éclairé. Cependant, en arrivant en face de sa demeure, elle vit qu’il y avait de la lumière au salon.

— C’est sans doute quelque étranger qui attend mon père

Puis, elle gravit les marches du perron. La porte avait été laissée entrouverte. Elle entra et se dirigea vers le salon, afin de s’assurer s’il y avait quelqu’un.

Au premier coup d’œil, il lui parut désert, mais tout à coup le sang afflua vers son cœur, les rideaux d’une des fenêtres venaient de s’ouvrir et un jeune homme s’avança vers elle. Géraldine voulut s’enfuir, mais Robert était déjà à ses côtés et, lui prenant la main, il la ramena au milieu de la chambre.

— Non, Géraldine, dit-il, restez, il faut que je vous parle. La jeune fille muette, interdite, se laissa tomber sans forces sur un sofa, son cœur battait à rompre sa poitrine, il l’avait appelée Géraldine et ce nom qu’il lui donnait pour la première fois avait fait tressaillir tous ses sens, elle croyait rêver et craignait qu’en prononçant une parole, l’illusion ne s’envola.

Monsieur de Marville s’était assis près d’elle sans cesser de tenir sa petite main qui tremblait dans la sienne ; il attendit quelques instants qu’elle fut un peu remise de son trouble et lui dit :

— Géraldine, depuis plus de six mois, j’ai été le plus malheureux des hommes, la vie m’était devenue tellement insupportable que je cherchai partout la mort dans les combats, car je vous aimais, depuis le moment je vous vis veiller à mon chevet avec la bonté d’un ange, je vous aimais lorsque je vis briller sur vos traits charmants un éclair de joie quand votre père déclara que j’étais hors de danger, j’aurais voulu consacrer ma vie toute entière à m’efforcer de vous rendre heureuse, mais hélas, tout à coup votre froideur est venue briser tous mes rêves, et le brusque changement de votre conduite me plongea dans le plus profond découragement… Votre image me suivait partout et avec elle la triste pensée que je n’étais rien pour vous. Le soir même, je venais faire mes adieux à votre père, j’étais décidé à partir pour Montréal, ne pouvant plus demeurer à Québec, pour rencontrer sans cesse votre regard si froid, qui, comme hier encore torturait mon âme. Oh ! Géraldine, je vous aurais quittée pour toujours, emportant avec moi mon secret et disant adieu au bonheur, si une parole de votre part n’était venue me faire espérer en l’avenir. Oui, chère Géraldine, vous l’avez vous-même écrite.

Il est doux par un mot, de pouvoir retrouver l’espérance.

Pendant que Robert lui parlait ainsi, la jeune fille avait ressenti une joie indicible, mais à ces dernières paroles, elle pâlit, une vive anxiété se peignit sur ses traits, une pensée bien poignante venait de s’emparer d’elle ; Robert avait surpris son secret, et c’était la reconnaissance seule qui le poussait à faire un aveu qui était pour lui un sacrifice. Notre héroïne demeura donc muette et retirant subitement sa main de celle de Robert, elle se couvrit la figure et fondit en pleurs.

— Qu’avez-vous, fit-il avec inquiétude, calmez-vous Géraldine, si j’ai blessé vos sentiments, si le désir ardent d’être aimé m’a fait me tromper dans l’interprétation de vos paroles, pardonnez-moi, mais de grâce, cessez vos larmes, je ne puis les voir couler.

— Laissez-moi, par pitié, laissez-moi, dit-elle, je ne puis, je ne dois vous aimer.

Dire ce qui se passa alors dans le cœur du jeune homme serait impossible. Il se leva, chancelant.

— Adieu, Géraldine, fit-il, vous avez été cruelle, mais ce n’est pas à moi à vous condamner, la seule prière que je puisse vous faire avant de vous quitter pour toujours, c’est de vous souvenir, en apprenant ma mort, que celui qui n’est plus, a succombé emportant avec lui votre image, ne pouvant plus vivre loin de vous.

Il allait s’éloigner, tout allait pour jamais être brisé entre eux, lorsque Géraldine s’écria :

— Oh ! Robert, Robert.

Il y avait tant d’amour et d’angoisse dans sa voix qu’il s’arrêta.

— Non Robert, vous ne mourrez pas, continua-t-elle, vous vivrez heureux avec cette Alice que vous aimez, et moi, je prierai Dieu pour vous.

— Alice, pourquoi parlez-vous d’Alice ? J’avais une famille, je l’ai perdue ; j’avais une sœur, elle m’a été enlevée ; j’avais espoir pouvoir un jour vous nommer mon épouse ; alors, j’eus fait le voyage de la vie avec bonheur ; mais tout m’est ravi, je suis destiné à fuir tout ce que j’aime, tout noble sentiment doit être étouffé dans mon cœur. Non, non, je ne puis vivre ainsi. Hélas ! pourquoi ne suis-je pas mort.

Il parcourait la chambre à grands pas, son désespoir était terrible.

— Pourquoi avez-vous dit que je vivrais heureux près d’Alice, demanda-t-il, pensez-vous que l’affection d’une sœur pourrait effacer votre souvenir ?

— Une sœur ?

— Oui, une sœur, que je ne révérai peut-être jamais.

— Ô ciel ! Alice est donc votre sœur.

— Quoi, vous l’ignoriez, alors pourquoi l’avoir nommée, qui a pu vous parler d’Alice, sans vous dire qui elle était.