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s’était aperçu de l’émotion de Géraldine.

Que complotez-vous ainsi, fit le jeune homme ?

— Vous êtes trop curieux, vous ne saurez rien, lui répondit sa joyeuse fiancée

— Et peut-être ne pourrai-je rien obtenir non plus, pas même cette danse qui commence.

— À une condition, veuillez, s’il vous plaît, aller chercher un verre de vin, pour mademoiselle Auricourt, la chaleur qui règne ici la fatigue réellement.

— En effet, mademoiselle, reprit-il, vous paraissez souffrante.

— Ce n’est rien, je vous assure, ne vous dérangez pas pour moi.

— Au contraire, je serai heureux de vous être utile, et là-dessus, il s’empressa d’aller quérir le verre de vin demandé.

— La danse était commencée, le général avait introduit son jeune protégé à plusieurs dames ; chacune le complimentait, sur ses exploits. Le nom de M. de Marville était dans toutes les bouches. C’était le héros de la soirée.

Robert avec un calme parfait, recevait sans en ressentir aucun orgueil, tous ces éloges qu’on lui adressait.

Madame Grosbois lui avait présenté sa fille et ce fut avec elle qu’il ouvrit la danse.

Bon nombre de jeunes filles envièrent sa place ; mais celle qui, dans cette soirée, était la plus malheureuse c’était certainement Géraldine.

Quelle différence avec sa première entrée dans le monde, chez le gouverneur, gaie, insouciante, elle apportait un cœur libre, tout était joie, tout était rose pour elle, la jeune fille ne comprenait pas alors qu’on put se sentit triste dans une réunion où règne le plaisir, mais aujourd’hui tout était changé, un seul être occupait sa pensée et Robert ne lui avait adressé qu’un salut, il avait déjà dansé trois fois avec mademoiselle Grosbois ; le ver rongeur de la jalousie se glissait dans son cœur, combien elle souffrait. La jeune fille oubliait qu’elle avait elle-même dicté la conduite de Robert, par sa froideur passée, et elle serait demeurée là longtemps, à le suivre du regard sans même adresser une parole à son partenaire, si elle ne se fut aperçue qu’elle devenait ridicule par ce silence, elle s’efforça donc de paraître gaie et d’entretenir la conversation avec animation,

De Kergy passa une partie de la soirée près d’elle.

Avec lui, on eut dit que la jeune fille avait entièrement oublié Robert, c’est que souvent chez son père, elle s’était aperçue que M. de Marville paraissait mécontent lorsqu’elle s’entretenait avec son cousin. Géraldine aurait donné tout au monde ce soir-là pour pouvoir l’affliger et lui faire endurer ce qu’elle éprouvait.

La pauvre enfant ne savait pas combien le cœur du jeune homme se serrait en la voyant ainsi accorder toutes ses attentions à ce cousin qu’il méprisait. Personne n’aurait pu deviner ce qui se passa en lui lorsqu’il vit Géraldine engager une valse avec M. de Kergy, elle avait jusqu’alors refusé de valser et, pour lui, elle acceptait. Notre héroïne dansait bien ; mais elle y mit encore plus de grâce qu’à l’ordinaire car elle désirait être remarquée, en effet, plusieurs couples s’arrêtèrent pour la regarder, ainsi que son compagnon, enfin il n’y eut plus qu’eux deux qui valsèrent dans le salon. Tout le monde avait fait cercle pour admirer la manière élégante avec laquelle ils dansaient.

Il y avait près d’une demi-heure que la valse durait lorsque M. Auricourt s’avança vers sa fille.

C’est assez, mon enfant, dit-il, cela te rendra malade.

M. de Kergy, continua-t-il, il aurait été plus prudent de cesser plus tôt.

— C’est mademoiselle qui persistait à continuer, répondit Gontran, je lui ai dit qu’elle serait fatiguée, mais elle n’a pas voulu l’admettre.

— Je suis fâché de voir que tu n’es pas plus raisonnable, Géraldine, il est heureux que M. de Marville soit venu me prévenir, dans le petit salon, j’étais à fumer, de ton imprudence.

Le docteur avait raison. Géraldine avait trop présumé sur les forces qu’elle venait à peine de recouvrer, malgré la fatigue qu’elle éprouvait, elle avait voulu attirer l’attention de Robert, qui toute la soirée avait feint de ne pas la remarquer. La jeune fille avait réussi et elle en éprouva un moment de satisfaction et d’orgueil ; mais maintenant, elle se sentit défaillir, les couleurs qui couvraient son visage, disparurent tout à coup et elle serait tombée, si son père ne l’eut soutenue, on la transporta, privée de connaissance, dans un appartement voisin, la chaleur était moins concentrée.

, on lui fit respirer des sels et elle revint à elle.

— Comment te trouves-tu, petite, fit le docteur ?

Géraldine ne répondit pas, mais elle cacha sa tête dans les coussins de velours sur lesquels on l’avait appuyée, et fondit en larmes. Parmi les personnes qui l’avaient suivie dans la chambre, elle avait aperçu Robert, sur le visage duquel était peinte une anxiété mortelle, et dans ce regard triste, il lui semblait voir un reproche. Géraldine avait bien eu ce qu’elle désirait, toute l’attention de Robert s’était portée sur elle, cependant, elle se sentait si malheureuse qu’elle aurait voulu mourir là, à deux pas de lui.

Pourquoi ? c’est qu’il semblait à Géraldine que Robert lui reprochait sa conduite, non parce qu’il l’aimait mais parce qu’il avait deviné sa pensée et la croyait méchante. Combien sa peine fut grande en songeant que peut être elle avait perdu son estime.

Aussi quand son père lui demanda encore comment elle se trouvait, elle le pria de la ramener immédiatement à la maison ; ne pouvant, plus longtemps, supporter cette foule de curieux, qui l’entourait.

— Ne partez pas maintenant, ma toute belle, dit madame de Montfort, il serait mieux de vous reposer un peu ici.

— Vous êtes bien bonne, madame, néanmoins je crois que l’air de la voiture me fera plus de bien.

Le docteur avait commandé sa voiture, et soutenue de son père, Géraldine s’y rendit.

— Qu’est donc devenu M. de Marville, demanda mademoiselle de Montfort, quelques minutes après le départ de M. Auricourt et sa fille.

Robert avait disparu, sans prendre congé de personne.

— Il faut lui pardonner, murmura M. d’Estimauville à l’oreille de sa fiancée, il est amoureux.