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pitié, malgré les efforts des généraux français pour les défendre de leur barbarie.

Robert saisit ses pistolets et s’élança au secours de deux jeunes officiers anglais et du commandant Monroe, qui se trouvaient séparés de leurs compatriotes et se défendaient avec le courage du désespoir, contre une dizaine d’Indiens qui les entouraient.

Avec la crosse de son fusil, Monsieur de Marville en fit router deux à terre et fit feu sur un troisième qu’il blessa grièvement. Son apparition subite suspendit pour quelques instants la fureur des sauvages, il en profita pour glisser ces mots à l’oreille du commandant.

Tâchez de gagner ma tente, tandis que je vais essayer de les apaiser.

Mais le moment de confusion que son arrivée avait causé était passé et maintenant les Hurons furieux d’avoir été intimidés, se précipitèrent sur M. de Marville en s’écriant.

— Mort aux Français qui nous trompent.

Parmi les plus acharnés contre lui, se remarquait Alléomeni dont la figure hideuse rayonnait de triomphe.

— Tu vas périr, dit-il en dirigeant sa flèche empoisonnée sur le jeune homme.

Un cri (tel que celui d’un homme effrayé) retentit, la flèche partit en sifflant dans l’air, mais Fleurs du Printemps (car c’était elle dont on avait entendu la voix) était arrivée à temps pour soulever le bras d’Alléomeni au moment où l’arme meurtrière était lancée dans l’espace, elle n’atteignit pas le but et alla se loger dans le tronc d’un arbre à trois arpents plus loin.

— Que faites-vous ? s’écria la jeune Indienne s’adressant aux siens, ne savez-vous pas que ce jeune homme est le sauveur de la fille de votre chef, sans lui, je ne serais plus pour marcher à votre tête, j’aurais péri sous les flots. Tuez-moi, mais que pas un de ses cheveux ne tombe.

Je l’ai déjà dit, Fleur du Printemps avait une grande influence sur sa nation, en l’entendant parler ainsi les plus furieux abaissèrent leurs armes et l’un d’eux prit la parole.

— Eh bien ! dit-il, puisqu’il est ton sauveur, qu’il se retire, il est libre, mais qu’il nous laisse ces Anglais.

— Je suis venu les défendre, répondit noblement Robert, je ne puis les abandonner quand ils sont les plus faibles ; je mourrai avec eux s’il le faut plutôt qu’être lâche.

Un murmure général s’éleva parmi les Indiens.

Refuserez-vous de m’obéir, reprit Fleur du Printemps, laissez passer ces Anglais, qu’attendez-vous d’eux ? vous les avez dépouillés de ce qu’ils possédaient, allez rejoindre vos frères et vous battre avec eux.

La fille du grand chef était aimée, elle savait que sa prière ne serait pas vaine, en effet après quelques minutes d’hésitation, les rangs se rouvrirent et Robert put amener ses trois protégés sous sa tente où ils étaient en sûreté.

Là, ils entourèrent l’Indienne qui les avait suivis et la remercièrent dans les termes les plus reconnaissants.

— Fleur du Printemps, dit Robert, prenant la main de la jeune fille, que puis-je faire pour vous prouver ma reconnaissance, sans vous nous n’aurions pas eu en mourant la consolation de verser notre sang pour la patrie.

— Pour vous, dit-elle en retirant sa main frémissante, vous ne me devez rien, vous m’avez sauvé la vie, je n’ai fait que m’acquitter d’une dette. Tout ce que je puis réclamer est de penser à moi quelquefois.

Ce disant, elle s’enfuit laissant Robert stupéfait, elle franchit en courant un grand espace de chemin, jusqu’à ce qu’enfin épuisée, halelante, elle fut forcée de s’arrêter. Au loin, le ciel apparaissait noir de fumée, on entendait encore les coups de feu, se succédant sans interruption, se mêlant aux cris des blessés et des mourants. La fille du grand chef se laissa tomber à genoux et un sanglot souleva sa poitrine.

— Dieu des blancs, dit-elle en élevant ses regards vers la voûte céleste, si Robert de Marville m’aime, je croirai en toi et me ferai chrétienne.

CHAPITRE XII
chez madame de montfort.

— Et vous me dites que c’est cette action qui décida de la victoire ; mais c’est un héros, un véritable héros, que ce monsieur de Marville, et non content de cet exploit, le lendemain, il exposa sa vie pour sauver trois Anglais ; c’est inouï, quelle noblesse de sentiments.

Ainsi s’exprimait mademoiselle de Montfort qui réunissait, ce soir-là, ses amis chez elle, à l’occasion de son anniversaire et qui, toute exaltée du récit que venait de lui faire M. d’Estimauville, nouvellement arrivé de Montréal avec Montcalm et quelques officiers, ne trouvait pas assez de paroles pour manifester l’admiration que la conduite de Robert lui causait.

— Oui, mes dames, reprit M. d’Estimauville, s’adressant à un groupe assez nombreux de jeunes femmes, qui s’étaient rapprochées pour l’entendre raconter les exploits de Robert, c’est ainsi qu’il se signala à la prise du Fort George.

— J’aimerais beaucoup à connaître ce nouveau bayard fit Madame de Grosbois, je crois qu’il est passablement sédentaire, car nous ne le rencontrons jamais dans le monde. Le général me disait au bal du Gouverneur, qu’il avait prié son jeune protégé de l’accompagner, mais que toutes ses instances avaient été vaines.

M. de Marville a éprouvé des chagrins qui l’ont éloigné des plaisirs ; cependant ce soir, mes dames, vos désirs seront satisfaits, car on lui a fait promettre de venir passer la soirée ici, et je puis vous assurer qu’il tiendra sa parole.

Un vif incarnat couvrit les joues de plusieurs jeunes filles, à la pensée de connaître ce héros malheureux chacune se disait :

Si j’avais le don de le consoler.

— J’espère bien qu’il n’y manque pas, fit Belzémire (Mademoiselle de Montfort se nommait ainsi.)

— Que ce M. de Marville est heureux, dit en ce moment M. de Blois.