Page:Gonneville - Trois ans en Canada, 1887.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
17

de plus, mais qui pour le monde, qui se rit de tout sans rien approfondir, paraissait étrange. Ceux pour qui la réflexion pèse, auraient accusé Robert de froideur, et peut-être de misanthropie, tandis que chez lui les sentiments du cœur étaient placés au-dessus de tout et que c’était précisément à cause de cette soif d’affection, de cette nature aimante dont il était doué que le jeune homme souffrait.

Pour lui, l’amour n’était pas un vain mot que l’on jette à tous les vents. C’était une pure flamme qui ennoblit l’homme, en lui faisant sentir deux âmes dans son âme, un sentiment divin qui le rend grand en lui donnant l’oubli de lui-même. Aimer et être aimé c’était une région du ciel perdue sur la terre. Voilà comment Robert comprenait l’amour, comment il aimait, comment il aurait voulu être aimé.

Monsieur de Marville passa ainsi toute la nuit sur le pont du navire à penser à sa vie passée et à celle que lui réservait l’avenir.

Le lendemain, on arrivait à la baie de Ganaouské. Monsieur de Lévis y était déjà et occupait les défilés qui conduisaient à l’endroit où le général avait projeté de faire le débarquement. Un gros de sauvages avait assis son camp sur les derrières du Fort George pour lui couper toute communication avec le fort Lydius.

Le fort George était un carré flanqué de quatre bastions, les murs en étaient formés par de gros troncs de sapins renversés et soutenus par des pieux extrêmement massifs. Le fossé avait de dix-huit à vingt pieds de profondeur. Ce fort était protégé par un rocher élevé, revêtu de palissades assurées par des monceaux de pierres.

La garnison de cette espèce de citadelle était de dix-sept à dix-huit cents hommes et l’on ne pouvait attaquer avec l’artillerie que du côté de la place, à cause des bois touffus et des marais qui en bordaient les avenues des autres côtés.

Montcalm, avant de commencer le siège, se retira dans sa tente avec Robert.

— Mon ami, dit-il, asseyez-vous et écrivez ce que je vais vous dicter.

Le jeune homme obéit et écrivit au colonel Monroe commandant du fort.

« Rendez-vous, disait le général. J’arrive avec une nombreuse armée, un train considérable d’artillerie, un grand corps de sauvages dont je ne pourrai restreindre la fureur, si quelqu’un d’entre eux est tué ! Il vous est inutile d’entreprendre de défendre votre place, dans l’espoir d’être renforcé, vu que j’ai pris toutes les précautions, pour qu’aucun secours ne puisse vous arriver. J’espère que votre réponse sera immédiate.

Montcalm,
Général de l’armée française d’Amérique.

Lorsque Robert eut terminé, le marquis fit appeler son aide de camp, M. Fontbrune.

— Portez ceci, dit-il, au colonel Monroe, hâtez-vous d’être de retour.

Le jeune homme salua et se retira.

— Que ferez-vous Général, demanda Robert, si le commandant refuse de se rendre ?

— Nous l’attaquerons de suite, car l’important est d’emporter le fort avant l’arrivée du général Webb, qui est au fort Lydius. On dit qu’il amène avec lui quatre mille hommes ; il faut le devancer et pousser le siège avec rigueur.

La réponse du colonel Monroe ne se fit pas attendre elle était laconique et décisive.

Général, disait-il, je crains peu la barbarie. J’ai comme vous sous mes ordres des soldats déterminés à vaincre ou à périr.

— Tant mieux, fit Montcalm, la victoire n’en sera que plus glorieuse.

Et il ordonna l’attaque. On se battit pendant trois jours avec acharnement.

Le soir du quatrième, le général s’était retiré dans sa tente ; non pour se reposer, mais pour songer aux opérations du lendemain, lorsqu’il fut subitement tiré de ses réflexions, par des cris et des vociférations, il s’élança au dehors pour connaître la cause du tumulte ; c’était une petite bande de sauvages ; ils s’avancèrent vers le général ; alors Montcalm s’aperçut qu’il y avait un blanc parmi eux, lié et garrotté.

— Qu’est-ce, dit-il.

— Un prisonnier, répondirent les sauvages, tous ensembles, nous l’avons pris comme il allait atteindre le fort, et nous allons le brûler.

— Non pas, répondit Montcalm nous pourrons l’échanger pour un des nôtres, et ce doit être un courrier. Il faut le fouiller.

Les ordres du général furent exécutés. Plusieurs soldats s’étaient maintenant réunis aux sauvages. On trouve une lettre sur le prisonnier. Montcalm la parcourut rapidement.

C’était le général Webb qui écrivait au commandant du Fort George.

Je ne crois pas prudent, disait-il, de dégarnir le fort Lydius, ainsi, je suis dans la nécessité d’attendre les milices des colonies dont je fais hâter la marche.

— Tant mieux, s’écria le marquis, mes amis vous venez de faire une prise importante. Cet homme nous donne la certitude de la victoire.

Le général ne peut venir au secours du commandant Monroe.

Des hourras de joie retentirent, se répétant d’écho en écho.

Le lendemain, l’attaque recommença. La garnison se défendit encore avec vigueur, mais commençait à perdre l’espérance d’être secourue lorsqu’une détonation terrible retentit de l’autre côté du fort.

C’était Monsieur de Marville, qui avec une trentaine d’hommes parvenaient à escalader le rocher d’ ils lançaient un feu meurtrier sur les Anglais.

Alors le colonel Monroe, voyant ses munitions presque toutes épuisées, comprit qu’une plus longue résistance ne ferait qu’augmenter la perte de ses gens sans améliorer leur position. Il fit donc hisser le drapeau blanc et envoya un officier anglais, traiter de la capitulation. Montcalm en dressa les articles. Il accorda aux Anglais de sortir avec armes et bagages, et qu’ils seraient escortés d’un détachement français jusqu’au Fort Édouard, pour les mettre à couvert des insultes et de la barbarie des sauvages.

Cette victoire rendait les Français maîtres de quarante-trois bouches à feu, de trente-cinq mille huit cent trente-cinq livres de poudre, de vingt-neuf bâtiments et d’une grande quantité de vivres et de projectiles.

La nuit qui suivit la bataille, Montcalm s’entretenait sous sa tente avec Messieurs de Bourlamaque et de Lévis, au sujet du départ des Anglais pour le len-