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aimée si elle ne s’était pas trompée sur les sentiments du jeune homme. Alors notre héroïne repassait en vue toute sa conduite et s’avouait que souvent, elle avait été fautive ; que bien des fois ses manières froides avaient dû repousser M. de Marville lorsque peut-être il venait lui ouvrir son cœur.

Mais elle se disait l’instant d’après découragée. Non, non, c’est impossible, il en aime une autre ; n’a-t-il pas prononcé son nom vingt fois et d’ailleurs ne l’a-t-il pas prouvé en quittant la maison de mon père sans même solliciter de me voir.

Cependant, Géraldine résolut de ne pas trahir son secret et de garder pour elle seule son chagrin.

Notre héroïne demeura donc la même. Partout, elle était gaie et riait la première ; ce rire était nerveux et déchirait son cœur ; en conversation mademoiselle Auricourt était devenu distraite et avait souvent des réponses vagues, alors la pauvre enfant s’apercevait que son esprit était ailleurs, qu’on la trouvait sans doute étrange et un soupir soulevait sa poitrine oppressée ; puis lorsqu’elle se retrouvait seule le soir dans sa chambre, là seulement Géraldine donnait un libre cours aux larmes qu’elle avait contenues tout le jour.

Cette vie de chagrin comprimé d’efforts pour paraître gaie devant son père influait sur sa santé.

Un cercle de bistre entourait ses yeux ; sa toux augmentait, de jour en jour, et enfin une inflammation de poumons se déclara.

La jeune fille fut longtemps entre la vie et la mort mais la jeunesse finit par triompher chez Géraldine, elle revint à la santé lentement, il est vrai, cependant le docteur se contentait de ce rétablissement tardif et remerciait Dieu de lui avoir conservé sa fille après lui avoir donné tant d’inquiétude.

Une mélancolie douce s’était emparée de Géraldine le calme étant revenu dans son cœur, elle ne pensait plus à Robert qu’avec résignation et s’efforçait de l’oublier en cherchant de l’attraction aux occupations ordinaires de la vie.

Un jour que notre héroïne se sentait triste et abattue, elle se fit apporter sa harpe et exécuta plusieurs morceaux, gais et brillant, afin de se distraire par ces accords joyeux. Elle joua longtemps et enfin, sans s’en apercevoir fit vibrer sous ses doigts les sons mélodieux d’une romance intitulée : Le départ, c’était le morceau favori de Robert. Plusieurs fois, il était venu s’asseoir près d’elle lorsqu’elle le jouait et l’avait prié de le répéter l’écoutant toujours avec plaisir. Géraldine se rappela des moments heureux, des larmes s’échappèrent de ses yeux et elle retira ses mains de l’instrument.

— Non, dit-elle, je ne veux plus jouer. Hélas ; tout me parle de lui quand je veux l’oublier.

Puis se levant, elle alla à l’autre extrémité du salon, prit un album et le feuilleta machinalement ; soudain la jeune fille s’arrêta devant ces vers écrits de la main de Robert, qu’elle lut plusieurs fois avec que émotion croissante.

Quand j’irais au mépris de votre indifférence,
De mes cuisants regrets vous parler le langage,
Hélas ; que vous ferait ma profonde douleur !
Votre froide pitié sans guérir ma souffrance,
De mes purs souvenirs effacerait l’image
Vestige passager d’un instant de bonheur.

Que signifiaient ces vers ! pourquoi les avait-il écrits ? Cruelle incertitude qui envahit son âme. Était-elle véritablement l’objet de ses pensées lorsqu’il avait tracé ces lignes ?

Qu’aurait donné la jeune fille pour avoir la conviction que ces reproches lui étaient adressés.

Malgré des doutes, une joie indicible s’empara d’elle. Qui de nous dans la vie n’a pas éprouvé un de ces moments d’abattement que cause la souffrance ; quel est celui qui n’a jamais également ressenti la douce émotion d’un soulagement inattendu, d’une espérance inconnue ?

Géraldine d’une main tremblante écrivit en bas de la page.

Il est doux dans les jours de doute et de souffrance,
Lorsque l’on pleure et se sent abattu.
Lorsque l’on croit désormais tout perdu.
De pouvoir par un mot retrouver l’espérance.

Après avoir tracé ces lignes, Mademoiselle Auricourt se sentit moins malheureuse.

Pourquoi elle n’aurait pu le dire.

Que d’actions nous faisons sans songer à ce qu’il en résultera. Que d’agréables événements arrivent, causés par une démarche qu’il nous coutait d’accomplir.

CHAPITRE XI
attaque du fort george.

C’était le vingt neuf de juillet. L’armée forte de cinq cents français et canadiens, et de dix-sept à dix-huit cents sauvages partait de Carillon pour le Fort George.

Sur le front de nos jeunes soldats rayonnait l’espérance ; le courage dans l’âme, ils partaient pour la gloire : Sans crainte du danger, ils allaient affronter la mort, heureux de risquer leur vie pour la patrie.

Lévis avec trois cents hommes prit la voie de terre, tandis que le reste de l’armée s’embarquait sur le lac St Sacrement. Robert était de ce nombre.

Combien il était impatient de trouver l’ennemi. Il espérait que les émotions de la guerre parviendraient à lui faire oublier ces trois mois qu’il venait de passer, et dont le souvenir lui faisait mal. Robert avait aussi un secret désir de recevoir une balle qui viendrait mettre un terme à ses souffrances.

Lecteurs, ne condamnez pas trop vite mon héros, ne le traitez pas encore de lâche pour ce moment de faiblesse. La vie lui était insupportable, en se rappelant que toutes ses affections devaient être mortes et refoulées au fond de son cœur. Le malheureux jeune homme aurait voulu mourir, mais l’image de sa mère se présenta à lui, il se figura son désespoir si elle apprenait qu’il n’était plus. Ce souvenir qui l’avait déjà sauvé, releva son courage, et lui donna le désir de se battre afin d’acquérir la gloire et pouvoir bientôt retourner vers celle qui lui avait donné le jour.

En songeant à sa mère, Robert laissait sa pensée s’envoler vers le passé, vers son enfance si gaie et si joyeuse. Pour lui, l’âge juvénile n’avait apporté que des déceptions, et il n’avançait dans la vie que pour apprendre à souffrir, de là lui était venue cette mélancolie continuelle, (qui avait fait place à sa gaieté d’autrefois.)

Mélancolie qui s’harmonisait bien cependant avec la régularité de ses traits et leur donnait un charme