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Votre nom, général, doit rester dans les annales de l’histoire.

Montcalm pencha la tête, puis lorsqu’au bout de quelques minutes, il la releva, une larme brilla dans son regard. Que venait donc de lui laisser entrevoir ce moment de recueillement ? Avait-il aperçu, dans le lointain, ce que lui réservait la destinée ? Un pressentiment lui avait-il révélé que son dernier soupir seul lui épargnerait la douleur d’être témoin de la prise de Québec, qui devait entraîner avec elle la perte de la colonie ? Que se passait-il en ce moment dans son âme ?

Entendait-il les reproches que le malheur s’attire, les torts que l’on attribue toujours au vaincu ?

On n’en sait rien, mais une résolution énergique se peignit sur ses traits, et il murmura en se parlant à lui-même :

— Je vaincrai, ou je mourrai.

Puis se tournant vers Robert, il lui dit :

— Je laisse Montréal demain pour Carillon ; là je m’occuperai des préparatifs à faire pour traverser le lac St Sacrement.

— Général, je vous suivrai.

— Oui et avant peu, nous attaquerons le fort George.

Peu de temps après, Robert s’était retiré. Le général, assis devant une table, paraissait pensif.

— Qu’a donc Robert, disait-il, il paraît plus abattu que jamais, est-ce la peine d’être séparé de sa famille ? ayant été aux portes du tombeau, peut-être la pensée amère qu’il aurait pu quitter cette terre sans recevoir un adieu de cette mère qu’il adore, a pu augmenter ses regrets.

S’il pouvait se former de nouvelles affections, s’il pouvait aimer, et s’entourer d’une nouvelle famille, qui lui serait aussi chère que celle qu’il a perdue.

Tandis que le général Montcalm se préoccupait ainsi de son protégé, celui-ci se dirigeait vers la demeure du capitaine de Raincourt. Robert n’avait pas revu son ami depuis plusieurs mois, et plus que jamais il sentait le désir de converser avec lui.

Comme lui Félix aimait ; il semblait à notre héros que cette similitude de sentiments les unissait plus étroitement

En arrivant chez Félix, Robert ne voulut pas se faire annoncer : il entra sans faire de bruit et prit un siège voisin de celui qu’occupait le capitaine, sans que celui-ci se fut aperçu de sa présence.

Voici ce qui justifie toute l’attention que ce dernier portait à la lecture qu’il faisait présentement.

Le capitaine lisait une lettre d’Hortense, conçue en ces termes.

« Minuit, tout dort, tout est silence ici, moi seule je veille avec votre pensée, cher Félix, c’est elle qui me soutient et me donne le courage de songer sans trop de terreur, que je suis prisonnière.

« Combien votre lettre venant m’apprendre que je n’étais pas oubliée, que des amis s’intéressaient à mon sort, a répandu de bonheur dans mon âme ; elle m’a fait retrouver la force de souffrir, puisque c’est pour vous.

« Laissez-moi maintenant vous raconter comment ma vie s’écoule. M. de Carre et sa mère me font passer pour folle, afin que personne ne s’étonne de ma captivité. Tous les domestiques le croient, excepté Marie, qui m’est dévouée ; ils prennent ma tristesse pour de la folie, et paraissent me fuir.

« La seule distraction que l’on me permette est de me promener dans le jardin. On ne craint pas que je fuie par là, vous connaissez la hauteur des murs qui l’entourent.

« Le soir, je passe de longues heures à regarder le ciel. Ces étoiles que je contemple, vous les voyez aussi, il me semble qu’elles vous parlent de moi, et j’entends sans cesse ces mots :

ne vous livrez pas au désespoir.

« Oui, j’espère, j’espère votre présence, et malgré que je ne sache comment je pourrai vous voir, je souhaite votre retour.

« Combien souvent, je me demande où sont allés ces jours heureux de mon enfance ? le bonheur m’a-t-il fui à jamais ? ces deux ans qui nous séparent ne s’écouleront-ils pas ? je crains que le jour qui doit nous unir, ne se lève jamais.

« Félix, dites-moi que ce n’est pas un pressentiment, que je puis encore croire en l’avenir. Il faut que vous veniez relever mon courage, hélas ! devant la souffrance, je sens que je ne suis qu’une pauvre femme, sans défense, n’ayant pour consolation que votre amour.

« Je me demande ce que M. de Carre prétend en me traitant ainsi, s’il croit pouvoir changer mes sentiments, il se trompe, et ne sait pas avec qui il lutte.

« Mais j’entends du bruit, on vient ; adieu Félix : hélas ! il faut cesser de vous écrire.

Hortense de Roberval.

— Oui, chère Hortense, dit à haute voix le capitaine, je trouverai bien le moyen de te revoir et de déjouer les plans de ce brutal de Carre.

— C’est cela, s’écria Robert en posant sa main sur l’épaule de son ami, je m’en doutais, il n’y a que mademoiselle de Roberval qui puisse te rendre distrait à ce point de ne pas voir entrer chez toi tes meilleurs amis.

— Robert, c’est toi !

Et le capitaine, se levant, pressa fortement la main de son ami.

— Ainsi, tu étais là à m’épier pour te moquer de moi ensuite, car je sais qu’un amoureux paraît bien ridicule à celui qui ne l’est pas.

— Dans tous les cas, Félix, ce n’est pas moi qui t’en blâmerai.

C’est vrai, ton cœur est libre, mais je suis sûr que tu es incapable de te railler des sentiments de ton ami. Mais assez sur ce sujet, parlons de toi, Robert. Tu ne peux concevoir combien je suis heureux de te revoir. Comment te portes-tu ? parfaitement guéri, n’est-ce pas, un peu pâle cependant. Le docteur Auricourt est un fameux médecin de t’avoir ramené de si loin. Je t’avouerai que nous avons craint longtemps pour tes jours. Lorsque je suis allé te voir avant de partir pour le fort George, je ne croyais pas te revoir jamais à Montréal. J’envoyais à tous les diables la main inconnue qui t’a frappé. Mais, dis-moi donc comment tu fus attaqué ?

— C’est très simple, je passais sur le chemin Ste Foy, lorsque tout à coup, sans qu’aucun bruit ne m’eut averti du danger, je reçois un choc violent, puis un coup de feu retentit, une balle me traverse l’épaule droite, je chancelle et tombe sur le sol privé de sentiment. Lorsque je revins à moi, j’étais dans