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Le général Montcalm qui était monté à Montréal, pour assister au départ des troupes que commandait M. de Rigaud, pour le fort George, ayant appris la guérison de son protégé, qu’il avait laissé si mal, lui écrivit une longue lettre dans laquelle il lui disait qu’il espérait qu’avant peu, il serait assez bien pour retourner à l’armée, où son absence se faisait sentir.

En voyant les preuves d’affection et d’estime que lui témoignait son général, Robert fut vivement ému ; et en parlant de cette lettre à Géraldine, il s’écria :

— Moi aussi, je devais partir pour défendre les intérêts de mon roi, mais hélas ! je suis encore retenu ici.

— Cette demeure vous est donc bien désagréable, dit la jeune fille d’un ton de reproche.

Robert sentit qu’il l’avait affligée.

Il prit sa main dans la sienne et allait répliquer, lorsque la jeune fille la retira vivement, et laissa l’appartement. Elle courut s’enfermer dans sa chambre pour y cacher ses larmes.

— Folle que je suis de l’aimer, murmura-t-elle, quand je sais que son cœur est à une autre, quand je l’ai entendu vingt fois prononcer dans son délire ce nom d’Alice qui m’apprenait que je ne serais jamais rien pour lui. Hélas ! il faut réprimer les mouvements de mon cœur ; il ne faut pas qu’il surprenne mon secret, s’il devinait mes sentiments, par noblesse, il n’hésiterait pas à me faire un aveu, qu’il croirait dû à la reconnaissance, et qu’il pourrait regretter plus tard.

À partir de ce moment, Géraldine évita de se trouver seule avec Robert. Notre héroïne semblait le fuir. S’il entrait dans l’appartement où elle se trouvait la jeune fille avait toujours un prétexte pour s’éloigner immédiatement. Ces entretiens du soir qu’ils avaient eus jusqu’alors ensemble et qui étaient remplis de charmes pour tous deux, avaient cessé.

Géraldine se hâtait de laisser la chambre aussitôt après le souper, et Robert restait en compagnie du docteur. Cette conduite de la jeune fille l’attristait, mais qu’avait-il à se plaindre, n’avait-elle pas eu pour lui le plus noble dévouement ?

Parfois de son appartement lui parvenaient les accords mélodieux de la harpe, que Géraldine faisait vibrer avec tant d’expression, dans ces moments Robert regrettait le temps où il était cloué sur son lit de douleur, car alors, elle était sans cesse auprès de lui.

Le jeune homme aurait voulu pouvoir quitter la maison du docteur, mais ses forces ne le lui permettaient pas, et il n’osait exprimer ses désirs, sachant que M. Auricourt s’y opposerait fortement.

À mesure que sa santé revenait, il se sentait atteint d’une maladie inconnue jusqu’alors, et les souffrances morales le rendaient plus morne et plus abattu que ne l’avaient fait les douleurs physiques les plus cruelles.

Lorsque Robert apercevait Géraldine, tout son sang affluait vers son cœur, il voulait s’élancer vers elle, lui avouer son amour, la supplier de l’entendre, mais l’apparence froide de la jeune fille le glaçait, les paroles expiraient sur ses lèvres, et il la laissait s’éloigner sans avoir rien dit.

Pour notre héroïne, elle avait perdu ses fraîches couleurs, la tristesse de Robert ne lui était pas inconnue, mais elle l’attribuait à l’ennui.

De Kergy venait souvent chez le docteur, le chevalier semblait avoir entièrement oublié la haine qu’il portait à Robert. À chaque visite, il ne manquait pas de le féliciter sur sa guérison.

Géraldine recevait son cousin avec un semblant de joie. Aussitôt qu’il arrivait, elle allait au devant de lui, riant et badinant comme si réellement elle était heureuse, elle passait la soirée entière avec lui, n’adressant que rarement la parole à Robert. Celui-ci les regardait en soupirant, et quittait le salon.

— Elle est méchante, murmurait-il, pourquoi me torturer ainsi.

Il ne se doutait pas que Géraldine souffrait autant que lui, que sa gaieté était feinte, qu’aussitôt qu’il n’était plus là, elle devenait distraite, et n’avait plus de réponses aux questions de son cousin. Souvent aussi Gontran surprenait une larme au bord de ses longs cils.

CHAPITRE VI
nouvelles de montréal.

Depuis que Robert demeurait chez son père, Géraldine avait peu songé à son amie Hortense. Pas une lettre de sa part n’était encore parvenue à Melle de Roberval. Tous ses instants avaient été pour le malade.

On venait d’apprendre que l’aide de camp du général Montcalm, M. d’Estimauville, était arrivé à Québec. Il apportait la nouvelle que Rigaud n’ayant pu emporter le fort George par escalade, n’avait exécuté que la seconde partie de ses instructions, c’est-à-dire qu’il avait brûlé toutes les maisons se trouvant aux environs du fort, l’hôpital, les magasins, plusieurs bateaux, un grand nombre de chaloupes.

M. d’Estimauville se rendit chez le docteur Auricourt et demanda Géraldine. Lorsqu’elle descendit, il lui présenta deux lettres, l’une à son adresse, l’autre pour Melle de Roberval. Géraldine parcourut rapidement celle qui lui appartenait. Elle était de M. de Raincourt, qui avait suivi Rigaud au fort George, il avait appris la manière indigne avec laquelle on traitait Hortense, et connaissant l’amitié qui unissait les deux jeunes filles, il avait recours à Melle Auricourt pour faire parvenir sa lettre à sa fiancée. Le capitaine terminait en disant, « Ce que femme veut, Dieu le veut, » qu’ainsi il ne doutait pas de la réussite de son entreprise.

Géraldine dit à M. d’Estimauville :

— Je suis heureuse, monsieur, de pouvoir vous affirmer que la lettre de monsieur de Raincourt se rendra à destination, et j’espère même pouvoir vous remettre une réponse. Veuillez, je vous prie, revenir demain.

— Je suis charmé, mademoiselle, que les intérêts de mon ami me procurent le plaisir de vous revoir encore, répondit galamment M. d’Estimauville. Et il prit congé de la jeune fille.

Géraldine écrivit à Hortense une longue lettre.

Voici ce qu’elle lui disait :

« Chère amie, sans doute que tu crois à mon indifférence. Mon long silence a pu te le faire penser, cependant ne m’accuse pas si tôt, je suis parvenue à mettre dans nos intérêts, Marie, votre femme de chambre, et par son entremise, j’ai le bonheur de savoir que ma lettre, ainsi que celle du capitaine, te parviendront. Il est vrai que j’ai été un peu paresseuse, mais j’espère que tu me pardonneras, lorsque tu sauras tout ce qui s’est passé depuis que je t’ai vue au bal du gouverneur.