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trompait pas.

— Je t’ai fait appeler, dit M. Auricourt, afin que tu demeures ici pendant que je vais descendre préparer des médicaments. S’il reprend connaissance, tu m’appelleras. Le docteur sortit.

Géraldine prit une chaise, s’assit au chevet du lit, et contempla le visage pâle du jeune homme, que mes lecteurs ont sans doute reconnu pour Robert.

Il était beau, peut être trop beau pour un homme. Une grande douceur était répandue sur ses traits délicats, et il eut paru efféminé si le feu de ses grands yeux bleus, maintenant cachés sous ses paupières, n’eût donné à sa physionomie une mâle énergie.

Plus Géraldine le regardait, plus elle était charmée de cette figure. Poussée par un sentiment dont elle ne se rendit pas compte, la jeune fille tomba à genoux et pria Dieu de conserver les jours de cet inconnu.

À ce moment, Robert poussa un profond soupir et ouvrit les yeux. En apercevant Géraldine, un sourire passa sur ses lèvres décolorées.

— Je rêve, n’est-ce pas, et vous êtes un ange.

— Non, vous ne rêvez pas et je ne suis pas un ange, mais vous êtes chez des personnes qui feront tout en leur pouvoir pour vous soulager.

— Je suis donc malade ?

Ce disant, il essaya de se soulever, mais il poussa un faible cri et retomba inanimé sur son oreiller.

— Mon Dieu, s’écria la jeune fille, il est mort. Et hors d’elle-même, elle se mit à appeler. Le docteur monta précipitamment en demandant ce qu’il y avait

— Voyez père, dit Géraldine à travers ses larmes, il est revenu à lui et il a parlé, puis il a expiré.

Le docteur examina Robert.

— Il n’est pas mort, ce n’est qu’un second évanouissement.

Que j’ai eu peur ! fit-elle, en appuyant sa tête sur l’épaule de son père, et en donnant libre cours à ses larmes.

— Allons, allons, mon enfant, tu te laisses trop impressionner ; j’ai eu tort de te laisser seule ici cela t’a fatiguée. Va te reposer maintenant, Madeleine et moi veillerons. Puis, il congédia sa fille avec un baiser.

CHAPITRE V
à lorette.

Il était dix heures. La lune se levait radieuse et répandait sa vaporeuse clarté sur la jeune Lorette. Debout, appuyée contre la porte de son wigwam, une jeune Indienne contemplait l’astre des nuits… Son visage étincelait de hardiesse et d’intelligence, ses yeux noirs brillaient d’un vif éclat. Elle était enveloppée dans les plis d’une tunique bien serrée à la taille par une guirlande de coquillage. À son côté pendait un carquois et plusieurs flèches. Sur ses épaules flottait la couverte nationale, ses poignets étaient entourés d’anneaux de fausses perles, des mitas grises emprisonnaient ses jambes fines et nerveuses. Un énorme lévrier blanc tacheté de noir était couché à ses pieds. La jeune fille tenait toujours ses yeux fixés au firmament ; de temps en temps un soupir soulevait son sein. Enfin un nom s’échappa comme un souffle de ses lèvres : — Robert.

À ce murmure, le chien releva la tête et poussa un gémissement, l’Indienne abaissa ses regards sur l’animal.

— Paix, Cournas, dit-elle en passant sa main sur sa tête, pourquoi ce cri accroit-il les craintes de la fille du grand chef ! L’Esprit des songes est venu la nuit dernière, il a troublé le cœur de Fleur du Printemps. Je crains quelque malheur pour le visage pâle, ce sinistre hurlement m’a fait tressaillir. Je crains l’avenir, un instant le soleil a brillé, mais d’épais nuages couvrent maintenant ses rayons pour moi. Pourquoi aimer encore ? pourquoi lutter contre le présage ?

Oh ! soumets-toi, Fleur du Printemps : il ne faut pas espérer, un abîme ne nous sépare-t-il pas ? nous ne sommes pas de la même race. Jamais un visage pâle n’aimera une Indienne, va cacher ta douleur au fond des bois, le cri des bêtes féroces répondra à ta voix, le mugissement des vagues sera l’écho de ton chagrin ; mais lui ne sera pas témoin des larmes que je verse.

Et en proie à un profond découragement, elle laissa tomber sa tête dans ses mains et demeura plongée dans une profonde rêverie. Fleur du Printemps avait reçu une assez bonne éducation, au couvent des Ursulines où elle passa quelques années. Ses connaissances l’avaient rendue grande aux yeux de sa tribu. On la consultait sur toutes les affaires importantes ; on l’admirait pour son courage, son adresse à tirer à l’arc ; son intrépidité dans les dangers. Elle marchait à la tête de leurs partis de guerre et sa présence les rendait forts. Mais depuis un mois, Fleur du Printemps n’était plus la même : fuyant la compagnie des siens, on la voyait toujours seule, errant dans les forêts, ou sur les bords du fleuve, assise sur un rocher et regardant d’un œil morne la nappe blanche qui s’étendait sur les eaux. Fleur du Printemps aimait ; Fleur du Printemps était malheureuse.

La noble conduite de Robert de Marville avait inspiré à cette nature ardente, un amour passionné pour le jeune homme, et elle recherchait la solitude afin de nourrir son cœur de sa pensée, et se bercer d’une espérance qu’elle n’avait pas.

Soudain Fleur du Printemps releva la tête ; Alleomeni était près d’elle.

— Pourquoi rester ici, Fleur du Printemps, l’air est froid, le vent souffle, toute la tribu est entrée.

Laisse-moi dans la solitude, j’aime le calme qui m’entoure.

— Fleur du Printemps, pourquoi me repousser ainsi ? autrefois si tu ne me répondais pas, du moins tu écoutais mes paroles, mais aujourd’hui, tu me repousses, moi qui voudrais que tu viennes habiter mon wigwam.

Il essaya de passer son bras autour de la taille de la jeune Indienne. Elle lui lança un regard sévère, et le repoussa violemment.

— Arrière, laisse-moi, ou demain mon père te chassera de la tribu. Ne viens plus m’importuner de tes plaintes, tu sais que je ne t’aime pas et ne pourrai jamais t’aimer.

Le sauvage fronça ses épais sourcils, un éclair de haine brilla dans ses yeux fauves.

— Ah ! tu ne m’aimes pas ! Eh bien ! apprends que