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pour la presse, qui plaisante si cruellement l'administrateur de la banqueroute publique, l’abbé Terray[1].

  1. C’était à propos de l’établissement de la ferme générale, et de la combinaison qui faisait passer les pensions des acteurs, des actrices, des gents à talent, de l’état des Menus Plaisirs sur cette ferme : combinaison dans laquelle on avait annoncé que Mlle Arnould devait avoir une croupe. Voici la lettre attribuée à Sophie :
    Monseigneur.

    J’avais toujours ouï dire que vous faisiez peu de cas des arts et des talents agréables : on attribuait cette indifférence à la dureté de votre caractère. Je vous ai souvent défendu du premier reproche ; quant au second, il m’avait été difficile de m élever contre le cri général de la nation. Cependant je ne pouvais me persuader qu’un homme aussi sensible que vous aux charmes de notre sexe pût avoir un caractère de bronze. Vous venez bien de prouver le contraire. Vous vous êtes occupé de nous au milieu de l’affaire la plus importante de votre ministère. Forcé de grever la nation d’un impôt de 162 millions, vous avez cru devoir en réserver une légère partie pour le théâtre lyrique et pour les autres spectacles. Vous savez qu’une dose d’Allard, de Gaillaud, de Raucoux, est un narcotique sûr pour calmer les opérations douloureuses que vous lui faites à regret. Véritablement homme d’État, vous en prisez les membres, suivant l’utilité dont ils sont à vos vues. Le gouvernement fait sans doute, en temps de guerre, grand cas d’un guerrier qui verse son sang pour la patrie, mais, en temps de paix, le coup d’œil d’un militaire mutilé ne sert qu’à affliger, qu’à exciter les plaintes et les murmures du Français, déjà trop disposé à geindre. Il faut des gens, au contraire, qui le distraient et l’amusent : un chanteur, une danseuse, sont alors des personnages essentiels, et la distinction qu’on établit dans les récompenses des deux espèces de citoyens, est proportionnée à l’idée qu’on en a. L’officier estropié arrache avec peine, et après beaucoup de sollicitations et de courbettes, une pension modique ; elle est assignée sur le Trésor royal, espèce de crible sous lequel il faut tendre longtemps la main afin de recueillir quelques gouttes