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écompenses; c'est tout prosaïquement de l'épicurisme d'œuvres, et de l'étourdissement moral.

Pour moi, je ne m'étourdis plus. A force de s'être soûlée à toutes les coupes des rêves et des erreurs de la vie, mon imagination a une si forte tête qu'elle ne peut plus se griser; et quant à mes sens... vous savez le respectueux silence que je garde aux morts...

Que vous dire! Tenir tête à l'orage, c'est de la folie présomptueuse; se laisser aller au courant, c'est de la lâcheté. Que faire alors?--Allez, ma pauvre enfant, comme les condamnés qui, en faveur de leur arrêt impitoyable, trouvent partout autour d'eux l'accomplissement matériel de leurs funèbres et derniers désirs, nous qui sommes condamnées, de par les préjugés du monde, à un différent supplice, demandons aussi à la vie notre poulet et notre vin de Bordeaux.

Votre chambre est prête. Je vous attends.

Votre amie.

MATHILDE



CALINOT[6]

Pauvre innocente vie que cette vie de Calinot, qui semble écrite tout entière pour une parade des Funambules; écoulée doucement sans peur, sans reproche, sans haine, sans remords, sans regrets; innocente comme une parade où Pierrot,--Pierrot le mime, Pierrot le muet,--où Pierrot parlerait!

    [Note 6: Calinot, à l'heure présente, est une figure
    très-populaire. Théodore Barrière en a fait une pièce, et
    chaque jour le petit journal augmente d'une naïveté nouvelle