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pages dont la substance, dont un ressouvenir, dont une phrase, dont un mot, sont entrés dans les livres des deux frères et du survivant, Sophie Arnould ou Madame Saint-Huberty, Charles Demailly ou Chérie.

Malgré la route aplanie et les étapes sûres que leur auraient valu leur grâce d’esprit et leur science critique, les Goncourt abandonnèrent vite la tâche forcée du journaliste. Ils auraient pu être des feuilletonistes salués, préparer le succès de leurs romans, trouver les clés qui ouvrent les portes des théâtres. La suffisante indépendance de leur situation leur permit de se refuser à cette besogne préparatoire. Nés pour le livre, ils voulurent tout de suite aller au livre. Forts de leur affection fraternelle et intellectuelle, ils préférèrent vivre solitaires, attendre silencieusement, dire malgré tout et contre tous ce qu’ils avaient à dire, sans peur de la critique, sans concessions à l’argent. Ces fervents de l’art entrèrent en littérature comme les mystiques entrent en religion.

C’est là la caractéristique de leur talent, et c’est aussi celle de leur caractère. Ils furent des hommes de lettres et rien que des hommes de lettres. Ils