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« apporteurs de neuf » contre les fabricants du théâtre, les falsificateurs de vrai, les médiocres de l’Académie.

Enfin, dans toutes ces esquisses de la rue et des êtres, dans toutes ces notes de voyages, il y a le bégaiement et le frémissement des œuvres futures. La personnelle manière de voir se révèle au tournant d’une phrase, la formation d’une syntaxe particulière, outillée pour une besogne individuelle, se fait à travers le jeu des adjectifs et des verbes, le don de dire éclate dans le soudain épanouissement d’une épithète qui n’a pas encore séché en herbier. L’improvisation est suffisante à affirmer une tournure d’esprit, un accent de parole. Avec quatre lignes de l’écriture hâtée d’un journaliste, on peut deviner un écrivain. Les notes sur Alger, fixées par le crayon des dessinateurs d’hier, témoignent déjà de cette faculté d’écrire qui doit s’apercevoir jusque dans les tâtonnements des débuts. Le chapitre sur Bordeaux, la levée de plan de la maison du vieux juge mêlent le passé des choses à leur présent, font vivre les objets dans les mots. Venise, animée dans un cauchemar, met sous les yeux le bariolage, le sautillement des masques lâchés en plein carnaval, les couleurs de Véronèse, l’enter-