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faisait une de ces admirables nuits d’Orient, décrites par Loti. Et le commandant Brunet se promenait sur le pont, pendant son quart, quand il faisait signe de venir causer avec lui à un maître timonier, faisant son quart de l’autre côté du bord. Il était un rien en relations avec lui, parce que ce maître timonier était l’impresario des représentations théâtrales sur les bâtiments.

Et les deux hommes causaient dans la belle nuit, et M. Brunet lui parlant amicalement de son sort, l’autre lui disait : « Moi je me regarde comme le plus heureux des hommes… Je suis maître timonier en second, et je vais être nommé prochainement timonier en premier, et je serai un jour décoré… Oui, il n’y a pas une peau d’homme autre que la mienne, où je voudrais être… Dans ma vie, il n’y a qu’une chose qui m’embête, c’est que j’ai un frère plus jeune que moi, que j’aurais voulu voir amateur de galon… Eh bien, il s’est fait calicot ! » s’écriait-il avec un mépris, où il y avait presque de la douleur. Or le calicot en question, savez-vous qui c’était ?… C’était Boucicaut du Bon Marché.

Dimanche 17 avril. — Dans la journée, Léon Daudet vient me dire que le dîner de chez papa, est transbordé chez lui. Il y a chez ce cher garçon, une activité, une vivacité, une alacrité de l’intelligence qui charme et enfièvre : les idées chez lui, dans leur succession,