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peine. Peut-être déjà souffrant du foie, et buveur d’eau de Vichy, était-ce un commencement de fatigue cérébrale ? Du reste il avait eu, de tout temps, une répugnance pour la trop nombreuse production, pour la foison des bouquins, comme il disait. Et on l’entendait répéter : « Moi j’étais né pour écrire, dans toute ma vie, un petit volume in-douze, dans le genre de La Bruyère, et rien que ce petit in-douze ! »

C’est donc uniquement, par tendresse pour moi, qu’il m’a apporté le concours de son travail jusqu’au bout, jetant dans un soupir douloureux : « Comment, encore un volume ?… Mais vraiment n’en avons-nous pas fait assez d’in-quarto, d’in-octavo, d’in-dix-huit ! » — et parfois, pensant à cette vie abominable de travail, que je lui ai imposée, j’ai comme des remords, et la crainte d’avoir hâté sa fin.

Mais tout en se déchargeant sur moi de la composition de nos livres, mon frère était resté un passionné de style, et j’ai raconté dans une lettre à Zola, écrite au lendemain de sa mort, le soin amoureux qu’il mettait à l’élaboration de la forme, à la ciselure des phrases, au choix des mots, reprenant des morceaux écrits en commun, et qui nous avaient satisfaits tout d’abord, les retravaillant des heures, des demi-journées, avec une opiniâtreté presque colère, ici, changeant une épithète, là, faisant entrer dans une période, un rythme, plus loin, refaçonnant un tour de phrase, fatiguant, usant sa cervelle, à la poursuite de cette perfection, si difficile, parfois impossible à la langue française, dans l’ex-