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est mieux, un extraordinaire garde-mots de toutes les phrases typiques des peintres de sa connaissance, dans le passé et dans le présent, — des phrases qui définissent mieux que vingt pages de critique, un moral, un caractère, un talent.

Il dit Diaz un causeur éblouissant, et qui définissait ainsi la peinture de Delacroix : « Un bouquet de fleurs dans de l’eau croupie ! »

C’était encore lui qui répondait à Couture, lui conseillant blagueusement de s’en tenir à peindre sa forêt, et qu’il ne savait pas mettre une bouche sous un nez, et que voulant faire une vierge, il faisait un Turc — qui répondait : « oui, qu’il ne savait pas mettre une bouche sous un nez, mais qu’il lui arrivait quelquefois d’avoir la chance de mettre autour de ce nez et de cette bouche, qui n’étaient pas d’ensemble, de la vraie chair, et non pas du carton, comme Couture. »

Puis Stevens me parle avec enthousiasme de Millet, me dit avoir de lui une peinture de femme, faite avant d’aller à Barbizon, un des plus merveilleux morceaux de chair qu’il ait vus, et comme il l’a fait porter à voir par son fils, à un grand peintre de l’heure actuelle, qui a sa dose de méchanceté, il s’était écrié : « Il faut la porter cette toile à Henner, pour qu’il attrape une gifle ! » Et Stevens témoigne du respect de Rousseau pour Millet, qui d’abord ne lui trouvait pas de talent : ce qui, d’après Stevens, décida Rousseau à venir habiter Barbizon, pour le conquérir, et il arrivait au bout de quelque temps