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Jeudi 11 janvier. — Courteline, un petit homme de la race des chats maigres, perdu, flottant dans une ample redingote, les cheveux en baguettes de tambour, plaqués sur le front, et rejetés derrière les oreilles, et de petits yeux noirs, comme des pépins de poire, dans une figure pâlotte. Ce petit homme : un gesticulateur, ayant dans le sac de sa redingote, des soubresauts de pantin cassé, et cela, dans des conversations, où, piété sur ses talons, sa parole a la verve comique à froid de ses articles, et où son dire débute ainsi : « N’est-ce pas, je n’ai pas l’habitude de mettre mon pied sur un étron ?… »

Mercredi 17 janvier. — Ce soir, je dînais à côté d’une jolie et distinguée femme, d’origine russe. Elle me confessait, à l’âge de quatorze ans, dans l’abandon et la non-surveillance des livres traînant partout, en la maison de ses père et mère — et qui avait fait que sa sœur avait lu, à six ans, Madame Bovary — avoir parcouru toute la littérature avancée des langues, française, russe, anglaise, allemande, italienne. Et comme je l’interrogeais, sur ce que cette incroyable avalanche de mauvaises lectures avait dû produire dans son cerveau, elle me répondait que cette ouverture par les livres sur la vie aventureuse, lui avait donné l’éloignement des aventures, mais en même temps lui avait fabriqué une pensée, toute différente de la société, au milieu de laquelle elle vivait.