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ce soir, accoudé à la barre d’une fenêtre, au-dessus de l’odeur des roses de mon jardin, je pensais à cette obligation.

Lundi 15 juin. — J’ai eu aujourd’hui en pleine rue, le compliment qu’un vieux, comme moi, peut avoir d’une femme. Je passais en voiture découverte sur le boulevard Saint-Michel. En ce moment traversaient la chaussée, trois ouvrières, dont l’une, ma foi, qui était très gentille, dit à ses camarades, en me touchant presque de la main : « Voilà l’entreteneur que je rêverais ! » Je me rendais au Jardin des Plantes, pour le dîner que fait à quatre heures et demie, tous les deux mois, le boa.

Je suis exact, et j’ai devant moi le monstre de dix mètres, en son immobilité morte, avec ses écailles ternes, ses yeux en verre décoloré, une tache blanchâtre de moisissure sur la tête, comme il en vient aux serpents empaillés au plafond des vieux musées de province.

Et l’on jette dans la cage de verre, un petit agneau blanc, au poil frisé, qui dans son innocence va flairer le serpent, tout prêt à jouer avec lui. Soudain le serpent mort, le serpent empaillé, se détendant comme un ressort d’acier, saisit la joueuse petite bête par une patte, et en une seconde, sans que l’on puisse bien se rendre compte de ce qui s’est passé, tant la chose est rapide, l’agneau qui n’a eu que le temps