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Dimanche 14 septembre. — Saint-Gratien. Le jeune Benedetti qui a passé deux ans au Brésil, comme attaché à la légation, vient s’asseoir à côté de moi, et se met à causer de la fièvre jaune, de cette épouvantable maladie, qui lors même qu’elle n’est plus épidémique, ne continue pas moins d’enlever à Buenos-Ayres, tous les jours, au moins vingt-cinq personnes.

M’entretenant de la rapidité des décès, il me conte qu’un ingénieur français, ayant fait là-bas son affaire, ayant gagné une petite fortune, partait le lendemain par le paquebot pour l’Europe avec sa femme et ses enfants. Le jeune Benedetti s’était trouvé en rapport avec le ménage, et lui donnait à dîner la veille de leur départ. Le ménage le quittait assez tard, tout le monde bien portant. À quatre heures du matin, on venait lui annoncer que l’ingénieur était mort. Alors avait lieu une scène terrible entre lui et la femme. La femme voulait retarder son départ pour l’enterrement de son mari. Il lui objectait qu’il n’y avait pas à rester parce que, à six heures, son mari serait enterré ; la décomposition des corps étant si rapide, que l’enterrement a lieu deux heures après. Et dans la crainte qu’il se déclarât un cas chez la femme et les enfants, avec l’aide de la police, il embarquait de force la veuve et sa petite famille, au milieu des injures de la femme… qui, arrivée en Europe, lui adressait une lettre de remerciement.

Un détail particulier des enterrements de ce pays. Là-bas, pas de croque-morts, ce sont les parents qui