Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Daudet. — Oui, oui, certainement, si j’avais dix ans devant moi… Eh, mon Dieu, je ne parle pas de la mort… mais de la diminution de l’intelligence, à laquelle, mon cher ami, je suis peut-être condamné par ma maladie.

Moi. — Allons, êtes-vous bête… Permettez-moi d’être cruel… Mettons les choses au pis… Est-ce que Henri Heine n’a pas conservé sa faculté de travail jusqu’au dernier moment ?… Et vous, jamais votre cerveau n’a été plus enfanteur.

Daudet (absorbé et tout à son idée). — Vous comprenez bien toute la variété qu’il y aurait là dedans… depuis les plus grands problèmes sociaux jusqu’au petit caillou de la route… Tenez, le premier soir, le crépuscule amènerait une grande causerie sur la peur… Et aussi les épisodes de la journée… Au fait, ce ne seraient pas des chapitres, mais des haltes, qui feraient les divisions de mon livre… Puis vous concevez, mes voyageurs seraient de vrais êtres… Je mettrai en contact deux jeunes ménages, deux hommes et deux femmes de tempéraments différents… Oh, pas d’enfant, de peur de donner un caractère de sensiblerie à la chose.

Moi. — Si, j’y mettrais un enfant, moi, mais pas le moutard spirituel, pas l’enfant sentimentalement ventriloque du théâtre, j’y mettrais un bébé comme Mémé, un enfant de deux à trois ans, qui y jetterait le gazouillis d’un petit être de grâce, dans le sérieux des paroles.

Daudet. — Ma seconde maringote serait amusante.