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chemin de fer, et par la nuit qui vient, ma pensée va au roman des « Deux clowns. » (Les frères Zemganno.) Bientôt la cervelle s’excite et s’enfièvre, et voici des scènes qui se dessinent. Je trouve le premier épisode : une halte de bohémiens dans un paysage vague, dont je prendrais l’eau, le ciel, les plantages, sur le bord de la Seine.

Samedi 3 août. — Mon cousin Marin a invité les femmes de la magistrature d’ici, à une pêche aux écrevisses, à la tombée de la nuit. On doit pêcher au-dessus de Polisot, et la pêche est le prétexte d’un dîner-souper en plein air. On monte en voiture par une pluie battante, et au bout d’une heure, on est à destination et on se met à table.

La nuit est venue. Huit torches, fixées à huit piquets, sont allumées, éclairant le repas de leurs lueurs balayées et fuyardes. Un grand feu flambe au milieu du pré, où de temps en temps, les trois femmes vont sécher les semelles de leurs bottines mouillées, montrant des bas écossais et des pantalons brodés, en se soutenant par la taille, avec des gestes de caresse : groupe au milieu fait par la charmante Mme G…, dans une de ces blanches toilettes anglaises, que Gravelot donne, en ses vignettes, à ses héroïnes de romans. Et au dessert, ce sont des jeux de cache-cache de petites filles, et des parties de main-chaude, où il faut deviner le nom de la bouche, qui vous embrasse la main.