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Vendredi 17 mai. — Dîner chez Charpentier entre les cinq, comme on nous appelle.

Zola, parlant de l’insuccès du Bouton de rose, joué il y a une dizaine de jours, s’écrie : « Cela me rajeunit… Cela me donne vingt ans… Le succès de l’Assommoir m’avait avachi… Vraiment, quand je pense à l’enfilade de romans qui me restent à fabriquer, je sens qu’il n’y a qu’un état de lutte et de colère, qui puisse me les faire faire ! »

―――― De l’observation spontanée et presque faite en dépit de soi : Bon ! je le veux bien, mais de l’observation comme on va au ministère, merci !

Lundi 27 mai. — Je dîne aujourd’hui tout seul, en tête à tête avec Daudet et sa femme.

Daudet m’entretient de son livre : les Rois en exil, dont la conception est vraiment tout à fait jolie, en ce qu’elle se prête à une réalité poétique et ironique. Il veut faire un éleveur de roi, d’un fils de démocrate, que deux franciscains vont chercher dans un hôtel du quartier Latin, à l’escalier plein de filles en savates. Cela bien exécuté, doit être tout à fait de la délicate et grande modernité. Soudain Daudet s’interrompt disant : « Voyez-vous, c’est très malheureux… au fond vous m’avez troublé… oui vous, Flaubert et