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couleur, dont Fromentin parlait avec une voix presque religieuse.

Lundi 8 novembre. — Ces jours-ci, j’ai eu vraiment une jouissance d’esprit et de cœur, à me plonger dans un paquet de lettres de mon frère, retrouvé chez Louis Passy, un paquet de lettres de sa jeunesse, et qui me remontrent, en pleine lumière, des morceaux de notre vie, à demi effacés, et comme sortant tout à coup du brouillard, qu’apportent les années aux souvenirs d’un vieux passé.

Ces vieilles lettres ont même rejeté ma pensée, je ne sais comment, à des années plus anciennes, que celles qu’elles racontaient.

Elles ont évoqué chez moi, tout vivant et tout réel, le souvenir de ma blonde petite sœur Lili. Je l’ai revue, en cette année 1832, quand elle est venue avec la nourrice, me chercher à la pension Goubaux, pour fuir le choléra. Je la vois la chère petite, aux yeux si bleus, aux cheveux si blonds, ne voulant pas s’asseoir à côté de moi, et se plaçant dans le fiacre, sur le rebord du bas de la portière, pour mieux me voir, pour mieux me manger des yeux, dans cette contemplation aimante, et comme agenouillée, qu’ont les enfants pour ceux qu’ils adorent. Pauvre enfant ! la nuit suivante, dans la diligence qui nous emportait vers la Haute-Marne, elle était prise du choléra. Et pensez à ce voyage avec cette