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canards, les poules, la chèvre, et quand je descends prendre une tasse de café dans la salle à manger, son joli petit chat blanc vient prendre position sur le collet de ma jaquette, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire, pendant le déjeuner de son maître.

Mme de Nittis qui a passé cinq ou six fois, cette nuit, devant nos yeux, comme un fantôme, fait sa rentrée dans le salon, et reprend son va-et-vient inlassable. Après deux ou trois tours, elle s’arrête soudain, et dit lentement avec des yeux, où l’espérance a l’air de sourire au milieu des larmes : « Ce matin… j’ai cru pourtant que ça allait n’être pas vrai ! » Et allant et venant, elle murmure : « Ce matin, c’est singulier… je ne pouvais pas rassembler mes idées… mais ça revient… oui, oui, elles rentrent en place. » Puis soudainement, et comme si elle trouvait sous ses pieds un trou, un précipice, elle se met à crier : « Ah ! je suis perdue… Qu’est-ce que je vais devenir ? » Et comme on lui dit qu’il faut songer à son enfant, vivre pour lui : « Ah ! sans lui, fait-elle, on se coucherait par terre comme un chien galeux… et que la maladie… que la mort vienne… elle serait la bienvenue ! »

À neuf heures et demie, Alexandre Dumas arrive et le prix du convoi et de l’enterrement arrêté, nous allons signer l’acte de décès à la mairie de Saint-Germain.

En sortant de la mairie, Dumas me demande, avec une certaine gentillesse, de manger un morceau avec lui, et nous déjeunons dans un café quelconque, où,