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Jeudi 19 juin. — Je trouve, ce soir, Daudet en ses contractions de visage et ses remuements de jambes, disant qu’il a en plein ses douleurs.

— Vous souffrez, mon ami ?

— Oui, toujours… c’est vraiment atroce la continuité de la douleur, et la perspective de cette continuité… autrefois, le lit c’était une espérance… maintenant c’est redoutable de surprises… j’ai besoin de me relever, il faut que je marche pour user ma douleur… Je souffre, voyez-vous, tout ce qu’il est possible de souffrir… tenez parfois, dans le pied, c’est comme si un train de chemin de fer me passait dessus… Ah ! il me tarde d’être à Néris.

―――― Je suis revenu ce soir, de Saint-Gratien, avec Primoli, et nous causions en chemin de fer, des cruels moments qu’on passe avec les êtres, dont l’intelligence est entamée, nous parlions de ces désespoirs énervés, de ces colères intérieures, de ces fuites de la maison, à la suite desquelles on bat la campagne, en coupant les fleurs avec sa canne !… et nous confessions, en même temps, les tendresses maternelles qui vous viennent pour ces pauvres créatures, nous rendant si malheureux.

―――― Ces épouvantables chaleurs m’enlèvent