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Samedi 19 avril. — Cette préface de Chérie, il est bien entendu que je ne l’aurais pas écrite, si je n’avais pas eu de frère. Moi, au jour d’aujourd’hui, je suis à peu près reconnu et je me vends : oui je remplis les deux conditions du succès, tel qu’on le jauge à l’heure présente. Cela est incontestable. Mais j’avais besoin de me récrier dans une plainte amère et douloureuse contre l’injustice, que mon pauvre frère a rencontrée jusqu’au jour de sa mort, et après ce qu’il avait fait de moitié avec moi.

Au fond, dans ces colères contre ma préface, ce qui m’étonne, c’est le peu d’ouverture de ces intelligences de critiques, qui blaguent tous les jours l’absence de sens artistique, chez les bourgeois.

Je parle, par exemple, du japonisme, et ils ne croient exister de cet art, que quelques bibelots ridicules, qu’on leur a dit être le comble du mauvais goût et du manque de dessin. Les malheureux, ils ne se sont pas aperçus à l’heure qu’il est que tout l’impressionnisme est né de la contemplation et de l’imitation des impressions claires du Japon. Ils n’ont pas davantage observé que la cervelle d’un artiste occidental, dans l’ornementation de n’importe quoi, ne conçoit qu’un décor placé au milieu de la chose, un décor unique ou un décor composé de deux, trois, quatre, cinq détails se faisant toujours pendant et contrepoids, et que l’imitation par la céramique actuelle, du décor jeté de côté sur les choses, du décor non symétrique, entamait la religion de l’art grec, au moins dans l’ornementation.