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je ne leur avais pas acheté, une autre fois, peut-être ne m’auraient-ils rien apporté. »

Mercredi 2 avril. — C’est vraiment curieux le sentiment de la destruction chez les enfants.

Aujourd’hui, en voici un d’un parent de province qui veut couper les poissons rouges avec un sécateur, cherche à arracher en cachette tous les boutons de rhododendrons, et s’efforce de porter des doigts destructeurs partout, où sa petite main peut atteindre, et quand il a brisé ou détruit quelque chose, du bonheur monte à sa figure. Cet instinct de la destruction était peut-être encore plus féroce, plus inhumain, plus enragé chez un enfant beau, chez un enfant intelligent, chez le petit de Béhaine, mort d’une méningite. Chez cet enfant, la jubilation intérieure de la mise en pièces des choses, avait quelque chose d’une joie diabolique. Cet appétit bizarre de l’anéantissement des objets, je l’ai constaté encore chez un autre enfant, chez le petit garçon de Pierre Gavarni ; mais celui-ci qui est d’une nature sage, rangée, tranquille, demandait gentiment la permission de détruire. Il disait à Pélagie de sa voix la plus douce : « Dites donc, madame, est-ce qu’on peut casser ça… et ça ? »

Jeudi 10 avril. — Ce soir, chez Daudet, avec Mistral. Un beau front, des yeux limpides d’enfant,