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Cette musique est vraiment d’une compréhension tout à fait supérieure. Je ne sais pas quelle est sa valeur près des musiciens, mais ce que je sais, c’est que c’est de la musique de poète, et de la musique, parlant aux hommes de lettres. Il est impossible de mieux faire valoir, de mieux monter en épingle la valeur des mots, et quand on entend cela, c’est comme un coup de fouet, donné à ce qu’il y a de littéraire en vous.

Il est étrange, ce Rollinat, avec son air de petit paysan maladif, sa délicate figure tiraillée, et le perpétuel secouement nerveux de ses cheveux noirs.

Vendredi 15 juin. — Aujourd’hui, j’étais allé, pour mon roman, causer de la Lucia avec Lavoix.

Cet homme est un charmant bavard, bavard littéraire, et je ne sais comment, au lieu de me faire une conférence musicale sur la Lucia, il s’est mis à me parler de son enfance.

Il me raconte, très spirituellement, qu’il était le fils d’un petit employé, se saignant des quatre veines pour l’élever, et que malgré ses résolutions de bon fils, malgré un petit memento des sacrifices de ses parents, qu’il écrivait, tous les soirs, pour se forcer à travailler, il était pris d’une paresse, dont il ne pouvait pas absolument s’arracher : une paresse singulière, dans laquelle il passait tout son temps, à suivre le vol des martinets sur le bleu du ciel.