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quittant jeudi, qu’il m’écrirait le lendemain. Je n’avais rien reçu, et je croyais l’affaire avec Delpit arrangée, quand hier soir, je trouve cette lettre :

« Mon Goncourt, je vous écris de la gare de l’Ouest, les épées prêtes, le médecin attendu. On part pour le Vésinet. »

Et il me charge « s’il y avait accident », de porter à sa chère femme un petit mot, enfermé dans sa lettre, qu’il termine par cette tendre phrase :

« Après son mari, ses enfants, papa et maman, vous êtes ce qu’elle aime le plus. »

Cette lettre m’émotionne. Je dors mal. L’on me réveille le matin avec ce télégramme :

« Je rentre du Vésinet, j’ai fiché un coup d’épée à Delpit. »

Aussitôt je me jette en bas du lit pour aller l’embrasser. Et pendant que la porte de son cabinet, est poussée par des amis qui viennent lui serrer la main, et s’en vont : le voici, qui me raconte son duel, avec cette jolie blague méridionale, me peignant l’emballeur cocasse, qui a fourni, à la fois la caisse des épées et le jardin de sa maison de campagne, l’embarquement solennel pour le Vésinet et l’entrée du jardin de l’emballeur, entre deux arbres verts, qu’il compare joliment à une entrée de cimetière, et l’attache de formidables lunettes qu’il demande qu’on lui retire, aussitôt qu’il sera blessé.

Un charmant détail familial. Le fils aîné de Daudet avait entendu jeudi, à travers la porte, son père me dire qu’il avait envoyé des témoins à Delpit. Il