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Samedi 7 avril. — Aujourd’hui, en me promenant avec de Nittis, je lui parlais de l’acuité que prenait chez moi le sens de l’odorat dans la migraine, si bien qu’alors que je fumais encore, il m’arrivait de me relever, pour jeter dans l’escalier un paquet de tabac qui était dans la pièce voisine.

De Nittis, lui me dit que chez lui, le vin développe singulièrement l’acuité du sens de la vue, et que déjeunant à Londres, dans un cercle, où il buvait deux ou trois verres de vin, en revenant chez lui, dans ces voitures, complètement ouvertes devant, il voyait la rue « toute peinte » — et lorsqu’il n’avait pas bu de vin, son œil avait besoin de la chercher longtemps la rue, pour la peindre.

Mardi 10 avril. — Le nez de Zola est un nez très particulier, c’est un nez qui interroge, qui approuve, qui condamne, un nez qui est gai, un nez qui est triste, un nez dans lequel réside la physionomie de son maître ; un vrai nez de chien de chasse, dont les impressions, les sensations, les appétences divisent le bout, en deux petits lobes, qu’on dirait, par moments, frétillants. Aujourd’hui, il ne frétille pas ce bout de nez, et répète ce que la voix morne du romancier formule sur le ton de : « Frère, il faut mourir », à propos de la vente de nos livres futurs : « Les grandes ventes… nos grandes ventes sont finies ! »

Le dîner se termine dans une causerie sur ce