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condamné à jour fixe, donnant toujours ses consultations, recevant le soir, à des soirées où l’on faisait de la musique, — serein et impénétrable.

Il s’affaiblissait cependant, ne pouvant plus sortir. Alors il renvoyait sa voiture au mois, et continuait à donner des consultations, chez lui.

Toutefois, malgré sa volonté et son courage, le changement qui se faisait en sa personne, apparaissait à tous les yeux, et le bruit se répandait qu’il avait un cancer. Sur ce, des mères accouraient chez lui, disant brutalement au médecin : « Mais est-ce vrai ? on dit que vous allez mourir ! Mon Dieu, qu’est-ce que va devenir mon enfant ?… qu’est-ce que va devenir ma fille, quand viendra sa puberté ? » Trousseau souriait, leur faisait signe de s’asseoir, et leur dictait de longues recommandations.

Et encore les derniers mois de sa vie, étaient empoisonnés par de noirs soucis de famille, et de terribles affaires d’argent à arranger.

Enfin il ne pouvait plus se tenir debout. Il fallait s’aliter. Couché, il recevait des amis, rasé, la toilette faite, dans l’état d’un homme qui aurait une légère indisposition.

Bientôt il souffrait des douleurs atroces. Seulement alors il demandait qu’on l’injectât de morphine, mais à des doses infinitésimales, et qui lui donnaient le repos et le calme, pendant quelques minutes, puis il revenait à sa vie douloureuse, se secouait, et disait à l’ami médecin, qui se trouvait près de lui : « Faisons un peu de gymnastique intellectuelle, causons