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n’aurai jamais trouvé 40 francs pour m’acheter une montre en aluminium.

Vendredi 29 décembre. — Dîner hier chez Daudet, avec le peintre Beaulieu, le peintre des feux de Bengale dont j’ai donné l’atelier dans Manette Salomon, et que j’ai perdu de vue, au moins depuis quinze ans.

C’est le même homme, mais un peu plus hirsute, et avec une paire de lunettes.

Samedi 30 décembre. — Au milieu de la gaieté et du tapage des conversations, Nittis adossé à son bureau du fond de l’atelier, me dit dans sa jolie langue enfantine, sur une note mélancolique : « Oh, quand on a passé la première jeunesse… quand il n’y a plus dans les veines, un certain bouillonnement du sang… la vie, ce n’est plus guère attachant… et moi encore tout enfant — j’avais dix ans — j’ai entendu : “Il y a un ‘monsieur qui s’est tué…’” c’était de mon père qu’il s’agissait… vous concevez la vie fermée que ça m’a fait là-bas… deuil et solitude… et des notions tout élémentaires… lire et écrire : ç’a été tout… le reste c’est moi qui me le suis donné… je me suis entièrement formé par la réflexion solitaire… cela m’a laissé une naïveté… et vous concevez que dans la société actuelle cette naïveté… »

Nittis ne finit pas sa phrase.