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contes de fées ou les Robinson ne leur parlent plus. C’est là, je crois, un symptôme de la mort de la littérature et de l’art, chez les hommes du vingtième siècle.

Dimanche 16 juillet. — Les de Nittis tombent chez moi.

Et tous trois, devant un carton de vues de Paris du XVIIIe siècle, nous passons ensemble les dernières heures de la journée : la petite femme, toute triste de la cataracte venue à un de ses yeux, et qui la tient dans la terreur de perdre la vue, Nittis encore tout endolori de sa fluxion de poitrine, moi souffrant et soucieux de les quitter, et de ne pas savoir, ainsi qu’il arrive à mon âge, si je les reverrai encore, ces tendres amis. Et le feuilletage de ce Paris du passé, dans le crépuscule, et dans le contact de nos trois tristesses, rassemblées autour du vieux carton, a cependant quelque chose de doux.

Lundi 17 juillet. — Je suis tourmenté par l’anxiété de ne pouvoir plus travailler. Et je pense que j’aurai alors, ainsi que l’on a la soudaine souffrance d’un mal, resté longtemps sourd, j’aurai la cruelle révélation de ma vieillesse sans femme et sans enfants, de mon isolement dans la vie, de tout le dur de ma situation :