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naire, tenait des propos abominablement réactionnaires, dans le foyer des Variétés. Baron s’approche de lui, et avec la voix comique qu’on lui connaît, lui dit : « Toi, tu sais, nous t’avons oublié en 93, mais la prochaine fois, nous ne te manquerons pas ! »

Mardi 6 juin. — Ce soir, Mme Daudet me lit quelques notes d’un journal d’impressions, qu’elle rédige depuis trois ans. C’est de la littérature, délicate, aiguisée, raffinée. Au milieu de ces notes, il y a le récit de l’audition de mes trois derniers romans. La fille Élisa, les Frères Zemganno, la Faustin. Mme Daudet me lit ce récit, ou plutôt elle le commence, puis s’arrête et ne veut plus lire.

Un martyr que ce jeune Daudet, le martyr du rhumatisme. Toujours des souffrances, et des souffrances qu’il n’endort qu’avec la morphine. Et en dépit des souffrances, une volonté de travail entêtée qui triomphe de tout. Il disait : « Aujourd’hui, malgré tout, j’ai fait ma tâche, oui, mes cinq pages. » Et comme je lui demandais ce que ça fait de lignes, il me répond : « Deux cent cinquante. ».

Au dîner un joli mot d’enfant gâté. Le beau, l’adorable Zezé, tout à coup se renversant dans sa petite chaise, jette avec des larmes dans la voix : « Je ne veux plus mâcher… je trouve ça ennuyeux ! » Vouloir manger sans se donner de peine, est-ce d’un beau caprice souverain ?