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Jeudi 9 mars. — Dîner chez Zola. Un fin dîner, composé d’un potage au blé vert, de langues de rennes de Laponie, de surmulets à la provençale, d’une pintade truffée. Un dîner de gourmet, assaisonné d’une originale conversation sur les choses de la gueule et l’imagination de l’estomac, au bout de laquelle Tourguéneff prend l’engagement de nous faire manger des doubles bécassines de Russie : le premier gibier du monde.

Et de la nourriture, la conversation va aux vins, et Tourguéneff avec ce joli art du récit à petites touches de peintre qu’il possède, comme pas un de nous, fait le récit de la lampée d’un extraordinaire vin du Rhin, dans une certaine auberge d’Allemagne.

D’abord l’introduction dans une salle du fond de l’hôtel, et loin du bruit de la rue et du roulement des voitures, puis l’entrée grave du vieil aubergiste venant assister, comme un témoin sérieux à l’opération, en même temps que l’apparition de la fille de l’aubergiste, à l’aspect de Gretchen, avec ses mains d’un rouge vertueux, et semées de petites lentilles blanches, comme en ont les mains de toutes les institutrices allemandes… et le débouchage religieux de la bouteille, répandant dans la pièce une odeur de violette : — enfin toute la mise en scène de la chose, racontée avec des détails d’une observation de poète.

Et cette conversation et cette succulente nourriture, sont, de temps en temps, coupées par des geigne-