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―――― Ah ! la belle étude, qu’il y aurait à faire du peintre bohème de l’heure actuelle, du peintre bohème de 1850, de l’Anatole que j’ai pourtrait dans Manette Salomon. Le peintre bohème du jour affiche un chic, fait de réaction et de religiosité. Il porte une épingle de cravate, formée de deux cœurs, reliés par une croix : l’épingle de la haute gomme du faubourg Saint-Germain.

Lundi 6 mars. — Reprise aujourd’hui de notre ancien dîner des Cinq, où manque Flaubert, où sont encore Tourguéneff, Zola, Daudet et moi. Les ennuis moraux des uns, les souffrances physiques des autres, amènent la conversation sur la mort — la mort ou l’amour, chose curieuse, c’est toujours l’entretien de nos après-dîners, — et la conversation continue jusqu’à onze heures, cherchant, parfois à s’en aller de là, mais revenant toujours au noir sujet.

Daudet dit, que c’est une persécution chez lui, un empoisonnement de la vie, et qu’il n’est jamais entré dans un appartement nouveau, sans que ses yeux n’y cherchent la place et le jeu de son cercueil.

Zola dit, que sa mère étant morte à Médan, et que l’escalier se trouvant trop petit, il a fallu la descendre par une fenêtre, et que jamais il ne rencontre des yeux cette fenêtre, sans se demander qui va la descendre, de lui ou de sa femme : « Oui, la mort depuis